Page:Rolland Clerambault.djvu/354

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avec son deuil, — qu’il défendait jalousement, comme il défendait tout ce qui était à lui, — possesseur d’un fils unique de treize ans, il avait monté la garde autour de sa jeunesse et il lui avait appris à la monter avec lui. Étrange ! Faire des fils, pour lutter contre l’avenir !… Abandonné à lui-même, le jeune garçon eût, d’instinct, trouvé la vie. Mais dans la geôle du père, il fut la proie du père. Une maison fermée. Peu de relations. Peu de livres. Peu de journaux. Une seule feuille, dont les principes pétrifiés répondaient au besoin de conservation (au sens cadavérique) de Vaucoux. Sa victime, — son fils, — ne pouvait lui échapper. Il lui inocula ses maladies d’esprit, comme ces insectes qui injectent leurs œufs dans le corps vivant d’un autre. Et quand la guerre éclata, il le mena au bureau de recrutement et le fit engager. Pour un homme de sa sorte, la Patrie était le plus pur de l’être, le saint des saints. Il n’avait pas besoin, pour en trouver l’ivresse, de l’aspirer dans l’air vibrant des suggestions de la foule : (il ne se mêlait pas à la foule.) La Patrie était en lui. La Patrie, le Passé, le Passé éternel.

Et son fils fut tué, comme celui de Clerambault, comme ceux de millions de pères, pour la foi de ces pères, pour l’idéal du passé, auquel ils ne croyaient pas.

Mais Vaucoux ne connut point les doutes de Clerambault. Douter ! il ne savait point ce que c’était que douter ! S’il se le fût permis, il se fût méprisé. Cet homme dur aimait passionnément son fils, quoiqu’il ne le lui eût jamais montré. Et il ne concevait pas d’autre façon de le prouver que par une haine passionnée contre qui l’avait