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LE DRAME ROMANTIQUE

emphases révolutionnaires et les violences exaspérées du romantisme allemand ont déposé leur vernis. Riche de bruit, d’éloquence, d’airs de bravoure, d’images éclatantes, de fausse science et de fausse pensée, ce théâtre est le capitan matamore de l’art français. Il ne se donne la peine, ni de penser, ni d’apprendre, ni d’observer ; il n’a ni vérité, ni honnêteté ; il bluffe avec maestria. C’est bien un mélodrame qui exploite son public, qui le prend par sa niaiserie, dupe des mots bruyants, par sa sensiblerie habituée à confondre la passion avec les grimaces de la passion, par sa bassesse enfin, qui sous les revendications pseudo-humanitaires et pseudo-religieuses, trouve l’appât d’un matérialisme grossier, où il mord avidement. Ces faux brigands, ces faux révoltés sont les premiers-nés et les mieux venus de cet art de Montmartre, qui a depuis sévi, non sans éclat, sur la raison française. Art de cénacles tumultueux, où le talent abonde, sans parvenir, que par exception, à sa maturité, faute de recueillement, de sincérité, et de mécontentement de soi. Toutes ces fureurs romantiques sentent plus la Bohême que la Révolution. En assourdissant le peuple de déclamations anarchiques, elles contribuent à le maintenir dans l’inertie, plus sûrement encore que les artistes patentés de la bourgeoisie. L’indigence poétique du père Dumas montre à découvert la platitude de ce mélodrame, mis tout nu, déshabillé de son lyrisme. — Je crois fermement que le drame romantique est un des plus dangereux ennemis du théâtre populaire que nous cherchons à fonder en France. Il a poussé des rejetons innombrables, divisés en deux branches : les drames issus de Hugo, et la postérité de

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