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LES PRÉCURSEURS

trices du théâtre, et bien plus de ses fins esthétiques, disait dans son Paradoxe sur le comédien : « La vraie tragédie est encore à trouver. » Et il ajoutait dans son Deuxième entretien sur le Fils naturel :

Il n’y a plus, à proprement parler, de spectacles publics… Les théâtres anciens recevaient jusqu’à 80.000 citoyens… Jugez de la force d’un grand concours de spectateurs, par ce que vous savez vous-même de l’action des hommes les uns sur les autres, et de la communication des passions dans les émeutes populaires, 40 à 50.000 hommes ne se contiennent pas par décence… Celui qui ne sent pas augmenter sa sensation par le grand nombre de ceux qui la partagent, a quelque vice secret ; il y a dans son caractère je ne sais quoi de solitaire qui me déplaît. — Mais si le concours d’un grand nombre d’hommes devait ajouter à l’émotion du spectateur, quelle influence ne devait-il point avoir sur les auteurs, sur les acteurs ? Quelle différence entre amuser tel jour, depuis telle jusqu’à telle heure, dans un petit endroit obscur, quelques centaines de personnes ; ou fixer l’attention d’une nation entière dans ses jours solennels ![1]

Et, esquissant avec la puissance habituelle de son intuition quelques-unes des révolutions artistiques que produirait la fondation de ce théâtre nouveau, Diderot écrivait ces lignes, où il devançait non seulement l’art de son temps, mais aussi l’art de notre temps :

Je ne demanderais, pour changer la face du genre dramatique, qu’un théâtre très étendu, où l’on montrât, quand le sujet d’une pièce l’exigerait, une grande place avec les édifices adjacents, tels que le péristyle d’un palais, l’entrée d’un temple, différents endroits distribués de manière que le spectateur vît toute l’action, et qu’il y en eût une partie cachée pour les acteurs. Telle fut ou put être autrefois
  1. Deuxième entretien sur le Fils naturel, Dorval et moi, 1757.
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