Page:Rolland Le Théâtre du peuple.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
le théâtre nouveau

la scène des Euménides d’Eschyle. Exécuterons-nous rien de pareil sur nos théâtres ? On n’y peut jamais montrer qu’une action, tandis que dans la nature il y en a presque toujours de simultanées, dont les représentations concomitantes, se fortifiant réciproquement, produiraient sur nous des effets terribles… Nous attendons l’homme de génie qui sache combiner la pantomime avec le discours, entremêler une scène parlée avec une scène muette, et tirer parti de la réunion des deux scènes, et surtout de l’approche, ou terrible ou comique, de cette réunion qui se ferait toujours…

La géniale pensée de Diderot trouva un écho passionné chez les Shakespeariens allemands de la Sturm und Drangperiode, chez Gerstenberg, chez Herder, chez Goethe adolescent.[1]

À son tour, l’original Louis-Sébastien Mercier, nourri de Shakespeare et des Allemands, disciple de Diderot, et « singe de Jean-Jacques », ainsi qu’on l’appelait, fondit ensemble leurs tendances diverses ; et il réclama en termes formels, dans son Nouvel essai sur l’Art dramatique, (1773) et surtout dans son Nouvel examen de la Tragédie française, (1778) la création d’un théâtre populaire, inspiré du peuple, et destiné au peuple. Il rappelait le lointain modèle des Mystères du Moyen-Âge ; et, mêlant aux conceptions esthétiques de Diderot et des Shakespeariens les préoccupations morales de Rousseau, il voulait « un théâtre aussi

  1. Herder, définissant Shakespeare en 1773, et le donnant comme idéal dramatique, montrait que ses pièces n’étaient pas des actions au sens grec, mais au sens du Moyen-Âge ; et il disait : « Une mer d’événements, où les vagues se succèdent en mugissant, voilà son théâtre. Les actes de la nature vont et viennent, réagissant les uns sur les autres, quelque disparates qu’ils semblent, s’engendrent mutuellement et se détruisent afin de réaliser l’intention du Créateur. »
70