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MONTE VEÎIDE. 101

qu'on ne leur a reconnue qu'après leur mort, n'ont jamais pré- tendu nier les droits de l'art ancien, mais seulement affirmer les leurs. Tous deux se sont heurtés aux critiques attitrés de l'élite, qui leur ont opposé les grands mots de nature, dont ils igno- raient le sens, et de peuple, dont ils ne se souciaient pas (1). Aussi , avec quelle hauteur dédaigneuse (2) ils font bon mar- ché de leurs adversaires! Les pédants leur barrent la route. Au peuple à les juger (3)! Le peuple, mis en présence des œu- vres, se reconnaît en elles, et du premier coup d'œil y retrouve des hommes comme lui, et non plus des auteurs. « Les hommes de science protestent au nom de Platon, que le peuple se trompe et ne saurait juger. Non, le peuple a raison, et s'il contredit l'élite, c'est à l'élite à se taire. » « Quand un art est accueilli par le monde avec cette faveur, je ne puis croire et ne croirai jamais, (quand bien même je n'aurais que de mauvaises raisons pour le défendre), que le monde se trompe, mais bien ceux qui ne sont pas avec lui (4). » C'est le cri de la nature contre le savoir aveu- gle, de la vie contre la raison étroite qui veut l'étouffer.

��Ce cri fut entendu, et le triomphe de Monteverde fut aussi complet et aussi glorieux que celui de Wagner.

(1) Ainsi qu'il est de coutume dans toutes les révolutions où paraît le souffle de la nature, les partisans de la routine, effarés, se défendent contre la nature, au nom de la nature pervertie. Contre les cris de passion de Monteverde, Artusi écrit doctement que de « telles modulations sont abhorrées par la nature, que le bon compositeur doit imiter le plus pos- sible. » (47.)— Le public d'amateurs et de mondains, habitué au puéril bavardage de ses artistes privilégiés, dans le désarroi où le jette l'apparition d'un génie qui vit suivant les lois de sa vie, et non les règles apprises, pro- teste que le peuple ne peut le comprendre, le peuple, dont l'existence lui échappe, et qui lui est si indifférent. — « Si vede che in quella parte che diletta, non diletta tutti universalmente; ma degli ascoltanti uno più , et meno dell' altro ne piglia diletto ; et se ritrovano di quelli, che non possono sentirc questi concerti, ne questi modérai musichi. » (p. 13.)

(2) « Ils sont prodigieusement énamourés d'eux-mêmes » (« di se stessi inamorati. ») (Artusi, II, 42.)

« Tout vient de leur fatuité. Est caecus Amor sui. Il rend ivre; les ivro- gnes croient que les autres ont perdu le sens. » (II, 44.)

(:}) C'est ainsi qu'Artusi critiquant des madrigaux de Monteverde, qui circulaient manuscrits, pour toute réponse Monteverde les publia.

(4j Préf. aux Scherzi musicnli.

Cf. Molière : « Je m'en remets assez aux décisions de la multitude, et je tiens aussi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve, que d'en défendre un qu'il condamne. » (Préface des Fâcheux.)

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