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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/170

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156 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

tions mystérieuses de l'esprit de la race. Aux époques de gran- deur, quand la nation est arrivée à la mûre moisson de ses forces, cet esprit s'épanouit en mille formes diverses , et tous y partici- pent. La proportion des hommes supérieurs est rarement plus forte que dans les autres époques ; mais tous bénéficient des ri- chesses répandues à fleur de sol; ils y puisent sans compter; et, le niveau montant, ceux qui sont grands se trouvent en commu- nion avec la foule; cet échange constant de pensées qui les unit, rafraîchit leur génie et les rend doublement populaires. Aux épo- ques de décadence, il n'en va plus de même. C'est à force de vo- lonté, de recueillement et de profondeur, que le génie parvient à retrouver, sous l'argile et la pierre qui recouvrent le sol, les vei- nes fécondes où toute la vie de la terre s'est réfugiée , et coule comme un flot obscur que l'on perçoit à peine. Ces hommes sont isolés de leur temps ; leur temps ne les soutient plus; aussi n'ont- ils presque jamais la joie triomphale des Rubens, ou la sérénité confiante des Raphaël; ils gagnent en revanche, en sérieux d'es- prit, et leurs sentiments renfermés en eux-mêmes prennent un caractère de profondeur solitaire et mélancolique. Leur temps ne suffît pas à les expliquer; mais que de secrets ils apprennent sur leur temps! Qui voudrait connaître la calme gravité et l'austère certitude du peuple allemand dans la force indestructible de ses destinées, la lirait pendant les horreurs de la guerre de Trente ans, dans l'âme du musicien Schùtz. Qui écouterait les chants du musicien Provenzale, aurait pour la première fois peut-être, con- science de la grande tristesse de 1 arae italienne, et de la noblesse cachée sous le scepticisme voluptueux du dix-septième siècle. L'un et l'autre comprendraient mieux ensuite que par les évé- nements de l'histoire, comment le peuple allemand et le peuple italien ont pu près de deux siècles , dormir, souffrir, mourir, et pourtant vivre encore pour de puissants réveils.

Nous tâcherons de montrer d'abord dans l'art lyrique italien du dix-septième siècle les essais d'art populaire, à Rome, Venise, Florence et Lucques; les tentatives diverses de drame historique, ou patriotique, de comédie de mœurs, ou de peinture de la vie contemporaine, et les lueurs qu'elles jettent sur la société du temps. Nous verrons ensuite deux génies, en qui la puissance ar- tistique de l'Italie, et sa sève intérieure semblent s'être concen- trées vers 1660 : Garissimi et Provenzale.

Le poème d'opéra , tel que le concevaient Péri et ses succès-

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