172 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.
Venise, et ils ont été souvent étudiés, surtout dans ces dernières années. Le trait le plus caractéristique de sa nature, est la glo- rieuse fougue qui emporte ses musiques. Sa manière, à la fois héroïque et sensuelle, a dans les bons endroits, un peu du Wagner des Niebelungen ; il en a le souffle hardi , et ces phrases robustes et carrées, fanfares à la Siegfried. En revanche, il ne lui ressemble guère par son étonnante facilité, sa verve pri- mesautière, et le talent de produire les plus puissants effets avec les plus simples moyens. En ceci, il se rapproche de Haendel. Son écriture est rapide, hasardée. Presque jamais il ne réfléchit, ni ne calcule, comme Monteverde, l'exacte vérité de l'accent. Il est rempli de répétitions et de négligences, dont quelques- unes assez extraordinaires; (c'est ainsi qu'il écrit bravement un « duo » à la fin de sa Calisto, sans s'apercevoir que le poète a préparé un trio ; puis il reconnaît brusquement son erreur, et recommence son travail.) Il est aussi indifférent au livret qu'on lui donne, que Véronèse ou Tintoret le sont souvent au sujet de leurs tableaux. Peintres et musiciens ne voient dans le libretto qu'un thème offert à leur fantaisie, et ils ne se gênent pas au besoin, pour le traiter au rebours (1). C'est d'un mauvais exemple pour l'art dramatique. Le vif génie de Gavalli saisit d'un coup d'ceil l'esprit des personnages, mais il ne peut transmettre sa clairvoyance, et seuls ses procédés demeurent.
Cavalli a d'instinct le don de la vie; plusieurs de ses person- nages , ses figures de femmes , ont un caractère individuel bien marqué. Il excelle à rendre les sentiments passionnés, et nul artiste du dix-septième siècle n'a plus profondément senti le mystérieux et le fantastique; par là aussi, il toucha le peuple à sa corde la plus sensible, dans ces superstitions et ces effrois magiques, qui sont la vraie religion de l'Italie (2). La nature se mêle intimement à l'action ; l'aurore et la nuit étendent leurs ombres mystérieuses, ou leurs paisibles reflets, sur les héros (3). La mer murmure (4), et le ruisseau chante (5). L'orchestre, en
La bibliothèque S. Marco possède aussi un Orione et une Ipermestra, attribués à Cavalli. Cette dernière fut sans doute jouée en 1658 au théâtre de la Pergola, à Florence.
(1) Duo de Iarbas et Didon, 1641, duo d'Eliogabalo, 1669, où à une situa- tion tragique il applique une musique gaie.
(2) L'ombre d'Hécube et celle de Creuse, dans Didon, 1641; Sinfonia in- fernale, de Tetis, 1639; Incantation infernale de Médée, dans Jason, 1649.
(3) Egisto, 1642.
(4) Didon, sinfonia navale, 1641.
(5) Ercole, 1662.
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