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182 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

Mais c'est surtout chez quelques hommes que se réfugie le génie de la race ; et nous nommerons en première ligne Caris- simi et Provenzale.

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��Toute la grandeur de l'esprit romain s'étale triomphalement dans Carissimi : son calme impérial, sa paix souveraine, son es- prit tout-puissant d'ordre et de clarté, la simplicité des moyens et la vigueur de la raison. La cantate et l'oratorio se transfor- ment dans ses mains. Bach n'y saurait plus rien changer; il y versera seulement le charme de ses méditations, • et s'il est plus touchant par sa naïveté sublime, dans ses meilleurs instants il ne sera pas plus grand. Carissimi a, comme Palestrina, comme Ra- phaël, comme les génies romains, le don magnifique de l'imper- sonnalité, ce don, que Goethe, — de tous les modernes le plus près de l'atteindre, — déclare avec un soupir le privilège des Grecs et des races du Midi (1). Ce n'est pas comme chez les ar- tistes du Nord, l'impersonnalité froide qui fait de la nature une sorte de cadavre; c'est l'âme même des choses, la personnalité agrandie, épurée, et comme divinisée. Aux récentes auditions de Saint-Gervais, il n'est personne qui n'ait remarqué combien l'art de Palestrina semblait viril , fort et serein auprès de celui de Bach. Les touchantes ou enfantines confidences de Jean-Sébas- tien conservaient leur parfum poétique à côté du calme olympien du Romain ; mais on ne pouvait oublier que celui-ci des deux était l'homme, vraiment homme. Carissimi a ce pouvoir de donner à son âme pleine d'émotions tragiques la forme impersonnelle et sereine, qui fait do ses douleurs comme le cri de la douleur même, — suprême objet de l'art, puisqu'elle lui permet, en l'expri- mant, de consoler la souffrance humaine.

Giacomo Carissimi (2) naquit en 160 i à Marino, près de Rome

��(1) « Quant à Homère, je le vois maintenant avec d'autres yeux ; ses des- criptions, ses comparaisons sont d'une vérité effrayante... Los anciens repré- sentent l'existence, tandis que nous représentons ses effets ; ils peignent le terrible, nous peignons terriblement ; ils décrivent l'agréable , nous décri- vons agréablement... Et voilà pourquoi nous tombons si souvent dans l'exa- gération, dans le maniéré, dans le prétentieux, dans l'enflure, car lorsqu'on ne travaille que pour l'effet, on croit ne pouvoir jamais le rendre assez sensible. » (Goethe, Lettre à Herder, 18 mai 1787. Naples, au retour de Sicile.)

(2) Voir, sur la vie de Carissimi, son ami, le jésuite Athanasius Kircher : Musurgia universalis, I, 5603 (Rome, 1649). Par ses récits fantastiques sur la

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