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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/23

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INTRODUCTION. 9

manqué de génies pour la faire avancer, il faut nous rassurer : le champ de l'art est vaste, il ne l'a pas rempli.

��A ces encouragements pour l'action l'histoire de la musique joint peut-être des secours inattendus pour l'intelligence du passé; elle apporte à l'histoire générale des ressources nouvelles. De tout temps on a senti les liens qui unissent l'art d'une nation au reste de sa vie et les lumières qu'une œuvre jette sur le caractère d'une époque. Aucun art ne peut rendre plus de services de cette sorte que la musique. — L'œuvre du peintre nous apprend la façon dont les siècles passés voyaient les objets extérieurs et les déformations que leurs yeux et leur esprit imprimaient à la na- ture. Mais la nature immuable est toujours le modèle qu'ils s'ef- forcent de rendre. La musique, au contraire, a pour matière l'es- sence même du cœur et sa diversité infinie (1). Plus intime que la poésie, dont la langue, empruntée aux rapports journaliers, est marquée d'images extérieures, d'expériences pratiques, d'éti- quettes d'objets, sous l'empreinte desquelles se dessèche à demi l'émotion primitive enfermée dans le mot, la musique est l'ex- pression immédiate et profonde du sentiment; elle sourd avec lui de sa fraîcheur native avant qu'il ne se soit flétri au contact de l'action ; elle est le monologue poétique de l'âme en sa retraite de mousse où nul bruit ne vient troubler le murmure de son petit ruisseau ; — si naturelle et spontanée que sa langue mystérieuse ne semble pas distincte de l'objet qu'elle représente, et que, chez les génies, l'expression est le reflet exact du sentiment, sans que l'artiste ait souvent conscience de ce dernier. Cette inconscience même est une garantie de sa sincérité. Quelques pages d'un grand musicien apprennent plus sur son âme que ses biogra- phies ou ses lettres. La phrase mélodique, modelée sur l'émotion vivante, avant que la raison ait pu la déformer, est comme la chair immatérielle de son cœur. Les harmonies qui viennent vêtir le thème de leurs caresses subtiles nous instruisent sur les sens de l'artiste. On retrouve dans le rythme, si je puis dire, la largeur de sa poitrine, sa respiration morale. Et le développement des phrases, la marche du morceau parlent éloquemment de son intelligence, du mécanisme de ses idées, de l'ordre et de la raison

��(1) « L'organe du cœur, » dit Wagner, « est le son; la musique est son langage artistique; elle est l'amour qui s'épanche et débordo du cœur, »

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