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242 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

représentation dura de dix heures du soir à quatre heures du ma- tin. Le sujet était la sorcellerie de Gircô vaincue par le roi de France. La musique est connue des amateurs ; les concerts en ont fait entendre des fragments, et M. Weckerlin a publié la par- tition dans la collection Michaelis. Elle consiste en soli, chants dialogues, chants à quatre et cinq parties , et airs de ballet. Elle ne suit pas l'action dramatique (d'ailleurs si pauvre) , et n'en re- flète pas les sentiments; elle s'ajoute au poème pour le divertir, et en rehausser le luxe. Je pense qu'elle nous donne une idée assez exacte des spectacles de Venise avant la réforme de Péri (1). Il est remarquable qu'elle a déjà beaucoup des caractères français. Ambros, qui est si intelligent, mais parfois superficiel et toujours passionné, s'y arrête à peine; il y a un voile entre lui et le goût français; il lui est aussi impossible de comprendre le ballet co- mique et l'opéra de Lully, qu'à tout Allemand, depuis Lessing, de sentir les tragédies de Racine (2).

Il est au contraire à peine utile de faire remarquer à un Fran- çais l'élégance franche et saine des airs , un peu carrés de forme, mélange de gaillarde bonhomie et de subtile distinction. Nous reviendrons, à propos de Lully, sur les caractères de la déclama- tion française. Mais nous devons noter ici le raffinement de cer- taines harmonies (chant des sirènes), l'ingéniosité de l'instru- mentation, l'habileté technique et pratique qui préside à la

��(1) Voir la tragédie de Frangipane et Merulo, jouée en 1574 à Venise, page 60, note 4. Le ballet comique est certainement inspiré de tels modèles.

Il est bien probable que Henri III, très frappé des fêtes de Venise, tâcha de les reproduire en France. Voir, sur son voyage en Italie, le livre si com- plet de M. de Nolhac : Pier de Nolhac e Angelo Solerti : Il viaggio in Italia di Enrico III, re di Francia, e le feste a Venezia, Ferrara, Manlova e Torino. Torino, Roux, 1890.

(2) « Es muss in dieser letzeren etwas sehr dem franzôsischen Sinne und Geschmacke Entsprechendes gelegen haben ; dasselbe Volk, das Cavalli's treffliche Opernmusik kalt und gleichgiltig ablehnte, schwàrmte fur Lulli's schwerfâlligen heroischen Kothurngang. » (Geschichte der Musih, IV, 231.)

Il faut noter qu' Ambros ne comprend pas beaucoup mieux la tragédie florentine de Péri, qu'il traite irrévérencieusement de « Gdnsengeschnatter » (bavardage d'oie).

On consultera utilement pour tout ce chapitre : Père Menestrier, Des représentations en musique anciennes et modernes. Paris, René Guignard, 1681 (C'est d'ailleurs un affreux galimatias, avec des renseignements pêlo- mêlej. G. Chouquet, Histoire de la musique dramatique en France. Paris, 1873. Langhans, Geschichte der Musih des 11, 18 und 19 Jahrh. 2 vol. Leipzig, 1882 (faisant suite à l'ouvrage d'Ambros , mais en le faisant regretter). Laborde, Essai sur la musique.

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