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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/270

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256 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

extraordinaire, et prouve la médiocrité de l'esprit musical en France.

Cette ignorante fatuité s'étale encore dans la dédicace de l'opéra suivant (1), à Golbert. « Les Grecs, qui sont les inventeurs du poème dramatique, ont finy tous les actes de leurs tragédies par des chœurs. Les inventeurs de V opéra ont enchéri sur les Grecs ; ils ont meslé la musique dans toutes les parties du poème pour le rendre plus accomply, et donné une nouvelle âme aux vers. Que si ces esprits ingénieux ont mérité une estime générale, c'est à vous, Monseigneur, que la principale gloire en est due, puisque vous avez bien daigné les encourager, etc. »

Ainsi, de bonne foi, (au moins, je voudrais le croire), Gilbert, Perrin et Gambert s'imaginent avoir inventé l'opéra. « Ces esprits ingénieux, » les premiers, ont fait pénétrer la musique au cœur du drame ! La tranquillité d'une telle assertion, le calme avec le- quel elle fut accueillie, et resta sans réponse, sont bien faits pour surprendre. Ils m'inspirent, je l'avoue, moins de regrets pour la façon cavalière dont Lully en usera avec Gambert. Il ne fait qu'imiter l'oubli intéressé, où Gambert fait disparaître ses de- vanciers (2). Comment ne pas l'excuser d'ailleurs, quand il le surpasse , au lieu que Gambert n'est qu'un terne reflet du génie italien.

Le jugement que ses contemporains ont porté sur lui est diffi- cile à comprendre. Saint-Evremond lui reconnaît « un des plus beaux génies du monde pour la musique, le plus entendu et le plus naturel. » Il semble même, à l'en croire, que ce fût un mu- sicien pur, une libre imagination, qui se plie malaisément aux règles, et que les sujets oppriment. « Il aimait les paroles qui n'exprimaient rien, pour n'être assujetti à aucune expression, et avoir la liberté de faire des airs purement à sa fantaisie. Nanete, Brunete ; Feuillage , Bocage ; Bergère, Fougère ; Oiseaux et Ra- meaux, touchaient particulièrement son génie. » Bien plus, il le représente comme un être passionné , qui ne s'intéresse qu'aux

��(i) Les Peines et les Plaisirs de l'Amour, pastorale en 5 actes, avec pro- logue, représentée par l'Académie royale de musique, le 8 avril 1672, poème de Gilbert. Perrin, sans doute endetté, avait passé son privilège à Sourdéac. Comme pour Pomone, la Bibliothèque Nationale possède seulement un exemplaire du premier acte.

(2) Il les connaissait pourtant. A défaut d'autres preuves, son Trio italien burlesque (1666), édité par M. Weckerlin, avec Les Peines et les Plaisirs de V 'Amour, montre qu'il les a pratiqués et qu'il sait bien leur style, puisqu'il le caricature habilement.

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