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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/271

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L'OPÉRA EN FRANCE. 257

grands mouvements dramatiques de l'âme. « S'il faloit tomber dans les passions, il en vouloit de ces violentes, qui se font sentir à tout le monde. A moins que la passion ne fût extrême, il ne s'en apercevait pas. Les sentiments tendres et délicats lui échap- paient. L'ennui, la tristesse, la langueur avaient quelque chose de trop secret et de trop délicat pour lui. Il ne connaissait la dou- leur que par les cris, l'affliction que par les larmes : ce qu'il y a de douloureux et de plaintif ne lui était pas connu. » On se doute bien qu'en cette jolie page, la grâce du tour nuit un peu à la justesse de la pensée ; mais même en faisant la part des exigences de l'esprit et des entraînements du style, nous ne comprenons guère du jugement de Saint-Evremond, que la partie critique. Sans doute les paroles des opéras, de Gambert « n'expriment rien; » mais la musique n'est pas beaucoup plus éloquente. Sans doute la finesse de touche et le charme poétique manquent aux œuvres qui nous restent ; mais la passion leur est encore plus inconnue. Les deux plus graves reproches de Saint-Evremond s'adressent à l'intelligence et au goût de Gambert (1) : c'est là son moindre défaut.

Mais nous devons sans doute réserver notre opinion, la res- treindre au petit nombre de pages qui nous restent de Gambert. Il serait trop injuste de faire porter aux artistes la peine de la mauvaise fortune qui détruisit leurs œuvres. Nous n'en possé- dons pas la plus célèbre partie, « -Le Tombeau de Climène, » dont parle Saint-Evremond, n'a pas été conservé. Le premier acte des Peines et Plaisirs de l'Amour montrait un réel progrès sur Po- mone. « Il avait quelque chose de plus poli et de plus galant. Les voix et les instruments s'étaient déjà mieux formés pour l'exécu- tion (2). » Le chœur des Nations, mêlé de soli, duo, trio, en l'hon- neur de Louis XIV, est un assez brillant morceau d'apparat. La scène champêtre a quelque grâce naturelle, et la déclamation co- mique ne manque pas de rondeur. On peut aussi noter quelques accents émus; (le poème entre d'ailleurs bien timidement dans l'action dramatique, et offre peu matière à des airs passionnés). Mais à côté de qualités françaises, telles que la franchise et la

��(1) « Il lui faloit quelqu'un plus intelligent que lui pour la diroction de son génie. —J'ajouterai une instruction, qui pourra sorvir à tous los sa- vants, — c'est de rechercher le commerce des honnêtes gens do cour, aillant que Gambert l'a évité. Le boa goût so forme avoc eux : la science peut s'ac- quérir avec les savants de profession; lo bon usago de la scionco no s'acquiert que dans le monde. »

(2) Saint-Evremond.

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