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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/275

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L'OPÉRA EN FRANCE. 261

la tragédie antique; celui-là croyait en avoir reçu les modèles dans la tragédie de Corneille et de Racine. C'est au travers du voile classique qu'il regarde l'antiquité. Aussi est-il profondé- ment empreint de l'esprit français. Les étrangers en sont saisis au point de ne plus sentir l'origine étrangère et l'âme italienne. D'elle-même, la tragédie française marchait vers l'opéra. Ses dialogues balancés, ses périodes cadencées, ses phrases qui se répondent, ses nobles proportions, la logique de son développe- ment, se prêtaient naturellement à l'eurythmie musicale. L'opéra devait être l'expresion parfaite du style Louis XIV. Ce génie de noblesse et de dignité calme, qui répugne à l'imprévu et se plaît à retrouver dans ses œuvres et ses spectacles la paix de sa raison ; qui fait voir les passions au travers des yeux de l'ar- tiste ; ce génie en un mot, qui met son idéal dans l'ordre plus que dans la liberté, et qui tend peu à peu à chercher la beauté dans la forme de la pensée plus que dans la pensée même, — de- vait se satisfaire dans l'opéra de Lully, qui n'est, si je puis dire, qu'une tragédie de la forme. En effet son charme principal est moins dans les passions qu'elle exprime, que dans les moyens d'expression, dans l'ordre rigoureux des proportions, la sage progression des développements, la justesse des accents, et leur convenance subtile aux sentiments exprimés (1).

��(1) Un critique italien, Francesco de Sànctis (Histoire de la littérature ita- lienne^ II, 230), justement cité par M. Brunetière dans sa leçon d'ouverture du cours professé à la Sorbonne (21 janv. 93) : Evolution de la poésie ly- rique au dix-neuvième siècle , montre le passage nécessaire des arts de la pensée aux arts de la forme.

« Autant la parole, comme moyen d'expression, est puissante; autant, quand elle ne s'adresse qu'aux sens, comme semplice sensibile, elle est in- férieure à tous les autres instruments dont l'art dispose pour l'imitation do la nature et de la vie. »

Aussi longtemps que l'on s'attache plus au fond qu'à la forme, la parole conserve sa supériorité. Aussitôt que la forme n'est plus seulement le moyen, mais le but, la couleur et la sonorité des mots remportent sur leur sens, et peu à peu les arts de la forme pure, de la couleur et du son, triomphent do la littérature.

M. de Sanctis tire de sa réflexion des conséquences curieuses pour la transformation de l'épopée italienne du seizième siècle en musiquo et en grand opéra. Cola est vrai, si l'on veut, pour l'opéra de Florenco (Péri), et plus encore pour celui de Paris (Lully). Tous deux sont peut-étro une œu- vre de lettrés dévoyés, de littérature décadente.

Mais cela est faux pour le drame de Monteverdo, do Carissimi, do Pro- VOnzale, et plus encore pour le drame lyrique allemand, (et en général pour tous les vrais musiciens). C'est l'œuvre do penseurs, aussi profonds quo les poètes, mais qui n'ont pour s'exprimer que la langue musicale. Un grand

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