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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/276

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262 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

C'est ce qui fait comprendre l'inquiétude et l'irritation des nobles esprits du dix-septième siècle. Ils sentaient dans ce mou- vement artistique, une décadence certaine et des germes de mort. La tragédie a fini par mettre l'idéal de noblesse au-dessus de l'idéal de vie; elle est, dès lors, dépassée par l'opéra. Et l'opéra, par son attraction sensuelle, achève la destruction de la tragédie. « Ce qui me fâche le plus de l'entêtement où l'on est pour l'opéra, écrit Saint-Evremond, c'est qu'il va ruiner la tragédie qui est la plus belle chose que nous ayons, la plus propre à élever l'âme, et la plus capable de former l'esprit (1). »

Le malheur est que ce que l'on met à la place ne saurait, malgré sa noblesse, combler le vide de ce qu'on détruit. (2) Il est

��musicien allemand a souvent une analyse aussi précise des passions, une intelligence plus philosophique que nos classiques du dix-septième siècle ; mais il ne peut les communiquer aux autres que sous la forme des sons. Tout ce qu'il touche devient musique.

Il ne faut donc pas donner trop d'importance à une pensée juste, dont les conséquences ne sont vraies que par occasion. C'est pour cette raison que j'ai cru ne devoir en parler qu'à cette place où elle trouve à s'appliquer.

(1) Si l'on veut, il ne ruina pas précisément la tragédie, il la transforma. Voltaire était tout plein des souvenirs de Métastase et des opéras italiens, quand il écrivit Sémiramis (voir ses dissertations sur la tragédie ancienne et moderne à S. E. Ms r le cardinal Querini , évêque de Brescia). Mais en réalité la tragédie de Voltaire, malgré le talent de l'auteur, vaut bien moins par elle-même que par les germes qu'on sent en elle , d'un art nouveau , ennemi de la tragédie. C'est là une question qui sort des limites de mon travail et que je réserve à l'étude de l'opéra du dix-huitième siècle.

(2) Un des pires instruments de l'abaissement de l'art, est « l'amusement des machines. » Elles suppléent aux défaillances de l'esprit et encouragent sa paresse. Il sera facile de remarquer dans l'opéra de Lully que les scènes de machinerie sont presque toujours les plus pauvres en musique. Il s'en remet évidemment aux manœuvres et aux architectes -du soin de charmer le public. Il est d'ailleurs trop économe de ses dons pour les prodiguer en pure perte parmi le bruit et l'inattention générales. Rameau sera peut-être le premier à vouloir joindre le pittoresque de la musique à celui du décor. De son côté, le public devient de jour en jour, de raison moins exigeante, et de sens plus difficiles. Ainsi l'art se démoralise. Et quelle tragédie pourra lutter contre le Phaéton de Quinault ?

On y voit « Protée sortir de la mer, conduisant les troupeaux de Nep- tune et accompagné d'une troupe de dieux marins, dont une partie fait un concert d'instruments et l'autre partie danse. » Plus loin, il se transforme « en lion, en arbre, en monstre marin, en fontaine et en flamme. » Les por- tes du temple d'Isis s'ouvrent, et « ce lieu qui avoit paru magnifique, n'est plus qu'un gouffre effroyable qui vomit des flammes et d'où sortent des fu- ries et des fantosmes terribles, qui menacent et escartent l'assemblée. » Enfin Phaéton, assis sur le char du Soleil, s'élève sur l'horizon; la Terre,

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