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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/278

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564 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

pas d'un ordre moins relevé que la tragédie de Racine. Mais il n'en est pas ainsi pour l'opéra de Lully. C'est une évidente déca- dence malgré le talent du musicien; la faute n'en est pas à ce dernier, mais à la société et au temps. D'une part, le goût ordonné et pompeux de l'époque est contraire au libre développement de l'élément passionnel, proprement musical. De l'autre, le caractère de l'opéra, les nécessités de sa nature, le privent de l'élément intellectuel et moral qui fait la grandeur de la tragédie française. Il fait donc perdre à l'art plus qu'il ne lui apporte.

C'est ainsi que faisant de la déclamation l'objet de ses recher- ches, l'opéra de Lully hésite pourtant en route, et Rousseau peut justement, dans son injuste lettre sur la musique française, relever dans ses chants et ses récitatifs, une foule d'erreurs contre la vérité des passions et l'exact mouvement poétique (1). C'est que Lully, qui prétend peindre Jes sentiments du drame, ne s'y abandonne pas ; il est trop musicien, et trop bien de son époque, pour ne pas sacrifier souvent la vérité de l'expression à la dignité de la tragédie de salon et à la beauté de l'ordre musical (2).

��(1) Critique du monologue d'Armide, « que les maîtres donnent eux-mê- mes pour le modèle le plus parfait du vrai récitatif françois. »

« ... Je remarque d'abord que M. Rameau Ta cité, avec raison, en exem- ple d'une modulation exacte et très bien liée; mais cet éloge, appliqué au morceau dont il s'agit, devient une véritable satire..., car que peut-on pen- ser de plus mal conçu que cette régularité scolastique dans une scène où l'emportement, la tendresse et le contraste des passions opposées, mettent l'artiste et les spectateurs dans la plus vive agitation? »

« ... L'héroïne finit par adorer celui qu'elle vouloit égorger au commence- ment, et le musicien finit en E si mi, comme il avoit commencé, sans avoir jamais quitté les cordes les plus analogues au ton principal, sans avoir mis une seule fois dans la déclamation de l'actrice la moindre inflexion extraor- dinaire qui fît foi de l'agitation de son âme, sans avoir donné la moindre expression à l'harmonie. Je défie qui que ce soit d'assigner par la musique seule, aucune différence sensible entre le commencement et la fin de cette scène, par où le spectateur puisse juger du changement prodigieux qui s'est fait dans le cœur d'Armide... »

« ... La tonique, il est vrai, devient dominante par un mouvement de basse. Eh dieux ! il est bien question de tonique et de dominante, dans un instant où toute liaison harmonique doit être interrompue, où tout doit peindre le désordre et l'agitation!... »

(2) C'est justement sur ce point que Gluck se sépare de Lully. C'est sur ce point que viennent l'atteindre les critiques françaises, en particulier celle de La Harpe (à propos du récitatif d'Armide même). La Harpe, au nom du bon goût, reproche à Gluck de « contrefaire » la nature au lieu de « l'em- bellir » ; « d'effrayer l'oreille » avec ses « cris » ; « il ne veut pas entendre le cri d'un homme qui souffre, » etc.

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