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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/280

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266 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

rares et exquises. La première de toutes est un sens excellent du goût et de la justesse. Le style est noble; il a l'instinct de l'élé- gance; les gestes, les accents, les manières sont aristocratiques. Il garde dans ses emportements une grandeur royale. L'intelli- gence de la passion ne lui manque point; il n'en a peut-être pas l'expérience directe, mais il est bien personnel dans le doux et le tempéré (1); son cœur finement poétique sait goûter la saveur des émotions délicates, des plaisirs distingués, des mélancolies sub- tiles, la tiède tendresse d'âmes nobles et paisibles (2). Qui dira le charme impalpable des plaintes de Pan (7m'), du Sommeil de Renaud (Armide), ou de celui d'Atys? La suave rêverie s'y co- lore des nuances fragiles d'une instrumentation à la fois sobre et raffinée (3), dont le murmure précis et vaporeux concourt avec

��(1) Par tous ces traits, il y avait harmonie préétablie entre Lully et son poète. D'autres ont parlé de Quinault (1635-10 nov. 1688), et défendu son génie poétique contre les attaques de Boileau, qui d'ailleurs rétracta dans la fin de sa vie, quelques mots un peu durs de ses satires. La cause n'est plus à gagner. On sait les vers enthousiastes de Voltaire, et surtout de Regnard. Il n'est personne qui lui refuse « l'art de plaire » (a), le don « des vers coulants, libres et pleins d'attraits » (/)), qui savent « de douceur enivrer tous nos sens » (a), « dans les plus froides âmes allumant les bra- siers des amoureuses flammes » [h). Mais ces éloges mêmes expliquent et justifient l'antipathie de Boileau. Le charme purement sensuel de ces vers décolorés et vagues, comme une langueur lasse d'amour, avait un attrait dangereux, un volupté dissolvante; il endormait la raison et énervait la volonté. Son murmure de caresses se mariait, il est vrai, avec une exquise grâce, au chant harmonieux de la musique.

On pouvait cependant imaginer une union aussi parfaite de la poésie et de la musique en un art plus viril. Les Allemands ont montré, — et les Italiens mômes, — que la poésie pouvait prendre dans le drame lyrique de tout autres accents, héroïques et virils. La grâce un peu fade et efféminée de l'opéra de Lully et de Quinault doit donc être portée au compte des auteurs, de l'époque et de la société, mais non pas du genre de l'opéra.

(2) Je suis surpris de trouver chez quelques historiens de la musique, ce jugement : « Lully n'a pas à proprement parler de sensibilité. »

(3) Lully emploie le quatuor ou quintette de cordes ; il fait un habile usage des flûtes, dont il se sert habituellement dans les ritournelles (concurrem- ment à l'unisson des cordes). Dans Psyché, il emploie un quatuor de flûtes à l'antique. Il use aussi des hautbois, bassons, musettes, guitares, trom- pettes, trompes de chasse, timbales, tambours de basque, etc. Son instru- mentation est d'une extrême finesse. Auprès des plus belles pages de Ra 7 meau, le Sommeil d'Atys donne l'impression d'un art plus parfait et plus exquis. L'orchestre de Lully a souvent des intentions pittoresques; il a un

��(a) Voltaire.

(b) Regnard.

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