Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/296

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lutte s’envenima. Innocent XI n’avait pas seulement à lutter contre le goût romain, mais contre l’opposition étrangère ; Christine de Suède, l’ambassadeur d’Espagne, tout le monde s’accorde à le faire enrager. Irritable, nerveux , il s’emporto jusqu’à la fureur et tombe dans le ridicule. Il fait chasser de Rome les peintres, dont « le pinceau est instrument de débauches ; » il s’avise, pour remédier au scandale de l’habillement des femmes, qui vont la gorge et les bras nus, d’envoyer ses sbires aux lavoirs et blanchisseries, rafler toutes les chemises de dames qui répondent au signalement : « tutte quelle camisce da donne, le quali saranno trovate con maniche corte e basse di scollo di petto, a segno taie che detti birri ne hanno fatta una copiosa raccolta in questi giorni (1). » Un immense éclat de rire accueille ces réformes. Christine de Suède s’empresse d’aller faire visite au Vatican, avec toute sa cour, vêtue de robes ridicules qui montent jusqu’au nez ; on les nomme « Innocentianes. » L’excès de la moralité ruine la ligue morale. En 1680, le pauvre pape capitule sur toute la ligne ; il cède, jusque pour les marionnettes ; et les scandales s’épanouissent plus que jamais aux théâtres. — Le Vénitien Alexandre VIII (Ottobuoni), qui monte sur le trône en 1690, les couve d’un regard paternel. Les carnavals de 1690 et 1691 sont les plus fous du siècle (2).

La lutte reprend plus âpre, sous le pontificat du Napolitain Innocent XII (Pignatelli) (1691-1700); et en 1697, instruit par les exemples de ses prédécesseurs, il tranche d’un coup la tête du monstre. Le Tor di Nona , qui a coûté plus de 100,000 écus à bâtir, est abattu par son ordre, sous l’accusation d’immoralité et de scandaleux exemple donné aux pèlerins. Mais la corruption était trop forte. Après un moment d’effarement et de fureur contre la barbarie du pape, après des flots d’injures et de pasquinades (3),

(1) Lettre de Paolo Negri al ministro San Tommaso, à Turin (Rome, 25 octobre 1679).

(2) Voir M. de Coulanges, Mémoires (Paris, 1820).

(3) Voici une des plus innocentes :

Notre pape est napolitain ;
Mais c’est un saint, ce qui s’appelle,
Qui veut de l’empire romain
Chasser à jamais la donzelle,
Bannir les jeux, les opéra,
Le carnaval , et caetera.
Mais au moins de boire en repos
Nous permettra-t-il, le saint-père ?
Son nom, ses armes, sont des pots.
Une Caraffe fut sa mère.