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LA DÉCADENCE ITALIENNE. 285

mômes tendances qu'à la fin du dix-septième siècle. Jusqu'aux approches de l'esprit d'indépendance politique, qui a pénétré len- tement à son tour dans l'art de la péninsule, ils sont restés les Italiens de Bernin et de Scarlatti. Ils n'ont cessé de montrer au monde, côte à côte en leurs œuvres, ce qu'ils auraient pu être auprès de ce qu'ils étaient, leur génie et leur paresse. Il est vrai qu'ils ont pris le monde, plus encore par leurs défauts que par leurs qualités; et je ne voudrais pas médire de cette nonchalante facilité. C'est un don admirable, surtout à notre époque, qui ne le connaît plus guère. Il repose du travail de fourmis laborieuses de nos fabricants de jolies phrases; la perfection calculée fatigue; l'agitation dévorante et stérile de notre art épuise et décourage ; nous irions avec enthousiasme à la première nature, riche et spontanée, qui s'abandonnerait naïvement au hasard de ses fai- blesses et de son inspiration. Il faut donc savoir gré aux Italiens de leur rôle « inutile » dans une société aussi affairée que la nôtre. Il n'en est pas moins regrettable qu'ils aient négligé en eux de si rares qualités.

De tout temps il en fut de même. Jusqu'en la première Renais- sance, il a semblé très doux aux forts artistes de Florence et d'Ombrie, de se laisser charmer par la langueur des choses et de leurs rêves. L'intelligence virile de la marquise Gonzaga a de fermes paroles pour éveiller Pérugin do son endormement volup- tueux. Et pourtant de quel charme est cet abandon de vivre, auprès de l'âpre précision du favori même de la duchesse, Andréa Mantegna ! — Elle a raison pourtant. Raphaël a pu, sans renoncer à sa grâce native, à son parfum ombrien, rester maître de sa volonté, et développer en lui une puissante raison, souveraine de ses rêves. Cet art , né d'une pensée virile et d'un cœur féminin, le seul qui depuis l'antiquité, rappelle la noblesse naturelle et souriante de la Grèce, les Italiens pouvaient le rendre au monde. Ils n'ont fait que la moitié de leur tâche. La musique n'a pas eu son Raphaël ; elle l'annonça parfois, mais il n'est pas venu. Elle n'a pas à l'attendre de l'Allemagne , ni de nous. Laissons aux Allemands l'illusion que Gœthe est un génie grec, et qu'Athènes revit dans la Munich aux Propylées. Mozart lui-même , tout pé- nétré de beauté italienne, a quelque chose de bourgeois auprès de la noblesse latine; sa grâce est plutôt celle d'un joli enfant, joyeux et tendre, que d'un Hermès d'Athènes, sublime et déconcertant, ou d'une Joconde aux ironies profondes.

Les Italiens qui ont tant donné au monde, lui devaient plus encore. Tout l'art moderne s'ébauche en eux. Ils oui marqua de

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