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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/33

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de l'union de la musique et du drame. 19

question des rapports de la musique et du drame se transforme curieusement, suivant qu'elle se pose en Italie, en Allemagne ou en France.

Le génie allemand se plaît au rêve. Il voit malaisément les êtres tels qu'ils sont, avec leur forme, leur langage, leurs ma- nières individuelles; ils lui sont un prétexte à des idées abstrai- tes, à des expansions sentimentales, à des réflexions métaphysi- ques. Son théâtre n'a pas attendu Wagner pour se livrer aux rêveries dramatiques ; la musique n'a fait que lui prêter un ma- gique instrument. Ainsi furent écrites de sublimes symphonies dramatiques qui donnent aux Allemands l'illusion du théâtre. Ne chicanons pas trop sur les mots ; leur art est admirable; disons seulement qu'il n'a qu'un rapport éloigné avec ce que nous et nos traditions latines entendons par théâtre. Le monde intime, dé- pouillé de l'action , épuré du réalisme extérieur, est si bien pour les artistes allemands le monde unique et seul vivant, qu'ils voient dans la musique la source même du drame (1). — Elle Test, si l'on veut, à la façon dont les nuages sont la source des fleuves et de la mer. C'est la passion diffuse, la. nébuleuse du cœur d'où l'action doit jaillir; elle n'en sort point nécessairement; pour qu'elle prenne une forme, il faut des qualités tout autres, prati- ques et précises. Elles ont le plus souvent manqué aux Allemands. Aussi leur drame lyrique n'est-il pas, à proprement parler, l'opéra, c'est-à-dire l'harmonieuse union de la poésie et de la musique. L'équilibre est rompu au profit de la rêverie.

Il l'est dans l'art français au profit de l'action. Boileau écrit « qu'on ne peut jamais faire un bon opéra, parce que la musique ne saurait narrer (2). » — Il oublie que le récit ou la narration

(1) Nietsche a montré la naissance de la tragédie grecque, sortant du souffle musical de Dionysos.

Wagner nomme la musique der Multerschooss des Drama's. (IX, 362.) Ailleurs : « Lorsque je composai mon Tristan, je me plongeai avec une en- tière confiance dans les profondeurs de l'àme, et de ce centre intime du monde je vis s'épanouir sa forme extérieure. Un coup d'œil sur l'étendue de ce poème vous montre aussitôt que le détail infini auquel le poète , en traitant un sujet historique, est astreint pour expliquer l'enchaînement ex- térieur de l'action aux dépens du développement clair des motifs intérieurs, ce détail, dis-je, j'osai le réserver exclusivement aux derniers. La vie et la mort, l'importance et l'existence du monde extérieur, tout ici dépend uni- quement des mouvements intérieurs do l'àine. L'action qui vient à s'accom- plir dépend d'une seule cause, de l'àme qui la provoque, et cetto action éclate au jour telle que l'ùmo s'en est formé l'imago dans ses rêves. » {Lettre-préface à ledit, française des Quatre poèmes d'opéra. Paris, 1861.) (2) Fragment d'un prologue d'opéra.

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