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.DEL UNION DE LA MUSIQUE ET DU DRAME. 21

Ce n'est qu'en Italie que nous voyons ce divin mariage de la poésie et de la musique s'accomplir harmonieusement. La sensi- bilité y est assez vive et souple pour que les mots ne tombent pas en elle comme des abstractions mortes, mais éveillent des sono- rités d'émotions toujours prêtes. La jeunesse de sensation, le dilettantisme qui s'abandonne à la passion sans la discuter, au plaisir sans le contrôler, favorise la floraison de ces musiques in- térieures toujours prêtes à jaillir au contact de la vie. Nous tâche- rons de montrer dans la suite de ce travail, que l'opéra est, sauf exceptions, un genre exclusivement italien, le genre d'un peuple à la fois très vivant et très artiste, qui transfigure la réalité et ne la voit que dorée des reflets de sa lumière.

Ce n'est que là, en vérité, qu'on peut juger de ce qu'est l'opéra, — sur le sol italien , — dans des cœurs italiens. — Dès l'entrée dans ces salles lumineuses et dorées, éclatantes de faste lourd (un vieux théâtre des Bourbons de Naples), on les sent frémissants, excités, impatients de jouissances et de rêves. Les premiers ac- cords les plongent dans une langueur voluptueuse, où passent, comme de grandes ondes à travers tout le peuple, des frissons de plaisir. Los yeux se croisent, les bouches se sourient; ils ne sont plus à eux tous qu'un seul être. Le rideau se lève; la féerie du décor achève d'entraîner leur imagination complaisante dans un monde enchanté de contes héroïques et de pastorales amoureuses. Le personnage paraît et le mirage s'achève. L'émotion vague se précise et prend corps ; ces âmes qui ne demandaient qu'à se donner, se livrent tout entières à la voix poétique qui chante pour elles et qui semble jaillir de leur propre fond. Mystérieuse sug- gestion de la musique : ces plaintes, ces espoirs, cet amour mo- dulés deviennent leurs; l'ivresse de ces essors lyriques, c'est en eux qu'ils en sentent la source. Vous leur diriez en vain que c'est une illusion, que ce n'est pas la vie. Là enfin ils vivent selon leur cœur. Toute la jeunesse poétique de leur être, refoulée, endormie par les soucis journaliers, renaît et s'épanouit; ils écoutent avec extase leur véritable langue, celle du sentiment libre, dégagé des entraves de la raison. — La pièce se déroule sans heurts et sans fatigue, l'action dans les yeux, la passion dans le cœur. La parole et le geste épargnent à l'esprit la peine de chercher ce que la mu- sique veut dire. Le personnage se voit d'un coup d'œil, tout en- tier, dans sa crise dramatique; récits et psychologie sont inuti- les; dix mesures de musique, le mot d'amour, ou de haine, ou de gloire nous disent tout ce que nous avons besoin de sa- voir.

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