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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/41

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LE MADRIGAL DRAMATIQUE. 27

l'intention, s'il en avait encore le temps, « de perfectionner la musique, de façon à la ramener à l'antique beauté disparue (1). »

Quoi qu'il en soit, on sentit désormais qu'un nouveau monde s'ouvrait à l'art, et que « si l'ancienne forme pouvait suffire, elle ne pouvait pas enchaîner. » « La musique religieuse elle-même, » dit justement Winterfeld, « avait en elle les germes de l'art pro- fane. » Son rapprochement des chants populaires l'avait rafraîchie et fortifiée. « Ces chants n'étaient pas, il est vrai, une expansion passionnée ; mais ils contenaient la passion d'une façon diffuse, et l'art religieux était bien forcé d'en tenir compte, ne fût-ce que pour la sanctifier (2). »

L'âme humaine semble sortir d'un long sommeil, et comme l'Adam de Michel-Ange, les yeux pleins de rêve encore, s'étire en sa jeune vigueur, à la vie qui pénètre tous ses sens à la fois (3). Mais l'époque était triste, et le réveil douloureux. Le peintre et le musicien de la Sixtine ont conservé dans leur âme le reflet des mélancolies répandues autour d'eux, la décadence des cœurs, les gloires disparues, la Rome de Raphaël violée par les Allemands, et les doutes rongeurs laissés à leur suite, ainsi que la souillure des outrages aux immortelles Stanze.

L'œuvre de Palestrina (1524-1594) est l'exemple admirable de cette résurrection du cœur. Le sentiment dramatique pénètre ces musiques, belles et pures comme une tragédie grecque. C'est en

��(1) Comme ce mot est cité par un des archéologues florentins, qui recréè- rent la tragédie lyrique au nom de « l'antique beauté, » l'intention qu'il lui prête dans la bouche de Cipriano, n'est pas douteuse (Lettre de Bardi à Caccini, citée par Lindner, Zur Tonhunsl, 1864).

(1) C. von Winterfeld, Johannes Gabrieli und sein Zeitalter, 2 e partie, livre I, Introduction. — L'ouvrage, qui est rempli d'intelligentes consi- dérations sur l'art, et l'un des plus substantiels recueils de documents sur l'époque, est malheureusement mal écrit, diffus et d'une digestion difficile.

(3) N'est-il pas singulier que la personnalité italienne apparaisse si tard en musique, quand elle s'est depuis longtemps affranchie dans les autres arts? Ses génies musicaux commencent au moment où s'éteignent les au- tres. Mais, sans parler du talent qui a dû se réfugier chez les improvisa- teurs a liuto , si nombreux au quinzième siècle (Léonard de Vinci entre tant d'autres), peut-être faut-il voir dans le réveil de la musique au sei- zième, une transformation de l'esprit artistique, plutôt qu'un art nouveau. Entre les musiciens du seizième et les peintres ou sculpteurs du quinzième, il y a moins une différence de nature que de forme C'est une question de circonstances extérieures. Après s'être épanoui au soleil, en des arts do lumière et de vie, à des époques où la vie était joyeuse et la lumière se- reine, le génie se concentre en lui-même dans son rêve intérieur, dans la beauté de son àmc, repoussée de l'action et fatiguée delà vio.

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