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Romain Rolland

Toutes les superstitions, tous les fanatismes de cette race dure et forte, il les eut. Ils furent le limon, dont son être fut formé. Mais de ce limon jaillit le feu qui purifie tout : le génie.

Qui ne croit pas au génie, qui ne sait ce qu’il est, qu’il regarde Michel-Ange. Jamais homme n’en fut ainsi la proie. Ce génie ne semblait pas de la même nature que lui : c’était un conquérant qui s’était rué en lui et le tenait asservi. Sa volonté n’y était pour rien ; et l’on pourrait presque dire : pour rien, son esprit et son cœur. C’était une exaltation frénétique, une vie formidable dans un corps et une âme trop faibles pour la contenir.

Il vivait dans une fureur continue. La souffrance de cet excès de force dont il était comme gonflé l’obligeait à agir, agir sans cesse, sans une heure de repos.

« Je m’épuise de travail, comme jamais homme n’a fait, écrivait-il, je ne pense à rien autre qu’à travailler nuit et jour. »

Ce besoin d’activité maladif ne lui faisait pas seulement accumuler les tâches et accepter plus de commandes qu’il n’en pouvait exécuter : cela dégénérait en manie. Il voulait sculpter des montagnes. S’il avait un monument à bâtir, il perdait des années dans les carrières à faire choix de ses blocs, à construire des routes pour leur transport ; il voulait être tout : ingénieur, manœuvre, tailleur de pierres ; il voulait tout faire lui-même, élever des palais, des églises, à lui tout seul. C’était une vie de forçat. Il ne s’accordait même pas le temps de manger

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