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Romain Rolland

Ce n’était rien encore. Le pire n’était pas d’être seul. Le pire était d’être seul avec soi, et de ne pouvoir vivre avec soi, de ne pas être maître de soi, de se renier, de se combattre, de se détruire soi-même. Son génie était accouplé avec une âme qui le trahissait. On parle quelquefois de la fatalité qui s’acharna contre lui et l’empêcha d’exécuter aucun de ses grands desseins. Cette fatalité, ce fut lui-même. La clef de son infortune, ce qui explique toute la tragédie de sa vie, — et ce qu’on a le moins vu ou le moins osé voir, — c’est son manque de volonté et sa faiblesse de caractère.

Il était indécis en art, en politique, dans toutes ses actions et dans toutes ses pensées. Entre deux œuvres, deux projets, deux partis, il ne pouvait se résoudre à choisir. L’histoire du monument de Jules II, de la façade de Saint-Laurent, des tombeaux des Médicis, en est la preuve. Il commençait, commençait, n’arrivait pas au bout. Il voulait et ne voulait pas. À peine avait-il fixé son choix, qu’il se mettait à en douter. À la fin de sa vie, il n’achevait plus rien : il se dégoûtait de tout. On prétend que ses tâches lui étaient imposées ; et l’on fait retomber sur ses maîtres la responsabilité de cette fluctuation perpétuelle d’un projet à un autre. On oublie que ses maîtres n’avaient aucun moyen de les lui imposer, s’il avait été décidé à les refuser. Mais il n’osait pas.

Il était faible. Il était faible de toute façon, par vertu et par timidité. Il était faible par conscience. Il se tourmentait de mille scrupules, qu’une nature plus énergique eût rejetés. Il se croyait obligé, par un sentiment exagéré de sa responsabilité, à faire des tâches médiocres, que n’importe quel contremaître eût mieux faites

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