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MICHEL-ANGE

Nul être ne fut moins fait pour la joie, et mieux fait pour la douleur. C’est elle seule qu’il voyait, elle seule qu’il sentait dans l’immense univers. Tout le pessimisme du monde se résume dans ce cri de désespoir, d’une injustice sublime :

Mille joies ne valent pas un seul tourment !…
Mille placer non vaglion un tormento !…[1]

« Sa dévorante énergie, dit Condivi, le sépara presque entièrement de toute société humaine. »

Il fut seul. — Il haït : il fut haï. Il aima : il ne fut pas aimé. On l’admirait et on le craignait. À la fin, il inspira un respect religieux. Il domine son siècle. Alors, il s’apaise un peu. Il voit les hommes d’en haut, et ils le voient d’en bas. Mais jamais il n’est deux. Jamais il n’a le repos, la douceur accordée au plus humble des êtres : pouvoir, une minute de sa vie, s’endormir dans l’affection d’un autre. L’amour d’une femme lui est refusé. Seule luit, un instant, dans ce ciel désert, l’étoile froide et pure de l’amitié de Vittoria Colonna. Tout autour, c’est la nuit, que traversent les météores brûlants de sa pensée : ses désirs et ses rêves délirants. Jamais Beethoven ne connut une telle nuit. C’est que cette nuit était dans le cœur même de Michel-Ange. Beethoven fut triste par la faute du monde ; il était gai de nature, il aspirait à la joie. Michel-Ange avait en lui la tristesse, qui fait peur aux hommes, et que tous fuient d’instinct. Il faisait le vide autour de lui.

  1. Poésies, LXXIV.
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