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Romain Rolland

Il perdait toute dignité en amour. Il s’humiliait devant des drôles, comme Febo di Poggio.[1] Il traitait de « puissant génie » un être aimable, mais médiocre, comme Tommaso de’ Cavalieri.[2]

Du moins, l’amour rend ces faiblesses touchantes. — Elles ne sont plus que tristement douloureuses, — on n’ose dire : honteuses, — quand c’est la peur qui en est la cause. Il est pris brusquement de terreurs paniques. Il fuit alors, d’un bout à l’autre de l’Italie, pourchassé par la peur. Il fuit de Florence, en 1494, terrifié par une vision. Il fuit de Florence, en 1529, — de Florence assiégée, qu’il était chargé de défendre. Il fuit jusqu’à Venise. Il est sur le point de fuir jusqu’en France. Il a honte ensuite de cet égarement : il le répare, il rentre dans la ville assiégée, il y fait son devoir jusqu’à la fin du siège. Mais, quand Florence est prise, quand les proscriptions règnent, qu’il est faible et tremblant ! Il va jusqu’à courtiser Valori, le proscripteur, celui qui vient de faire mourir son ami, le noble Battista della Palla. Hélas ! Il va jusqu’à renier ses amis, les bannis florentins.[3]

    ses tourments. Il publie un bref, en 1531, pour le défendre contre les importunités de ceux qui abusaient de sa complaisance.

  1. Comparer l’humble lettre de Michel-Ange à Febo, en décembre 1533, à la réponse de Febo, en janvier 1534, quémandeuse et vulgaire.
  2. « … Si je ne possède pas l’art de naviguer sur la mer de votre puissant génie, celui-ci m’excusera et ne me méprisera pas, parce que je ne puis me comparer à lui. Qui est unique en toutes choses, ne peut rien avoir d’égal. » (Michel-Ange à Tommaso de’ Cavalieri, premier janvier 1533)
  3. « … J’ai jusqu’à présent pris garde de parler aux bannis et d’avoir commerce avec eux ; je m’en garderai encore plus, à l’avenir… Je ne parle avec personne ; en particulier, je ne parle pas avec les Florentins. Si l’on me salue dans la rue, je ne puis pourtant pas faire autrement que de répondre amicalement ; mais je passe. Si je savais qui sont les bannis florentins, je ne répondrais en aucune façon… » (Lettre de Rome, en 1548, à son neveu Lionardo, qui
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