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LA FORCE

vivait à ses crochets, abusait de lui, le pressait à mort. Son père ne cessait de gémir, de s’inquiéter pour des affaires d’argent. Il devait passer son temps à lui rendre courage, quand lui-même était accablé.

Ne vous agitez pas, ce ne sont pas là des choses où la vie soit en jeu… Je ne vous laisserai jamais manquer de rien, aussi longtemps que j’aurai moi-même quelque chose… Quand bien même tout ce que vous avez au monde vous serait pris, vous ne manquerez de rien, tant que j’existerai… J’aime mieux être pauvre et vous savoir en vie, qu’avoir tout l’or du monde et que vous soyez mort… Si vous ne pouvez pas, comme d’autres, avoir les honneurs de ce monde, qu’il vous suffise d’avoir votre pain ; et vivez avec Christ, bon et pauvre, comme je fais ici ; car je suis misérable, et je ne me tourmente ni pour la vie, ni pour l’honneur, c’est-à-dire pour le monde ; et je vis dans de très grandes peines et dans une défiance infinie. Depuis quinze ans, je n’ai pas eu une bonne heure ; j’ai tout fait pour vous soutenir ; et jamais vous ne l’avez reconnu, ni cru. Dieu nous pardonne à tous ! Je suis prêt, dans l’avenir, aussi longtemps que je vivrai, à toujours agir de la même façon, pourvu seulement que je le puisse ![1]

Ses trois frères l’exploitaient. Ils attendaient de lui de l’argent, une position ; ils puisaient sans scrupules dans le petit capital qu’il avait amassé à Florence ; ils venaient se faire héberger chez lui à Rome ; ils se faisaient acheter, Buonarroto et Giovan Simone, un fonds de commerce, Gismondo, des terres près de Florence. Et ils ne lui en savaient aucun gré : il semblait que cela leur fût dû. Michel-Ange savait qu’ils l’exploitaient ; mais il était trop orgueilleux pour ne pas les laisser

  1. Lettres à son père, 1509–1512.
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