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LA FORCE QUI SE BRISE

pour avoir dû obéir aux ordres du pape, il fut persécuté par les Carrarais, qui s’entendirent avec les mariniers ligures : il ne trouva plus une seule barque, de Gênes à Pise, pour transporter ses marbres.[1] Il lui fallut construire une route, en partie sur pilotis, à travers les montagnes et les plaines marécageuses. Les gens du pays ne voulaient pas contribuer aux dépenses du chemin. Les travailleurs n’entendaient rien à leur tâche. Les carrières étaient neuves, les ouvriers étaient neufs. Michel-Ange gémissait :

« J’ai entrepris de réveiller les morts, en voulant dompter ces montagnes et apporter l’art ici. »[2]

Il tenait bon, pourtant :

« Ce que j’ai promis, je l’exécuterai, en dépit de tout ; je ferai la plus belle œuvre qui ait jamais été faite en Italie, si Dieu m’assiste. »

Que de force, d’enthousiasme, de génie perdus en vain ! À la fin de septembre 1518, il tomba malade à Seravezza, de surmenage et d’ennuis. Il savait bien que sa santé et ses rêves se consumaient à cette vie de manœuvre. Il était obsédé par le désir de commencer enfin

    marbre de Pietrasanta, et nuls autres… Si vous agissiez autrement, ce serait contre le désir exprès de Sa Sainteté et le nôtre, et nous aurions bonne raison d’être sérieusement irrités contre vous… Bannissez donc cet entêtement de votre esprit. »

  1. « J’ai été jusqu’à Gênes pour chercher des barques… Les Carrarais ont acheté tous les patrons de bateaux… Je dois aller à Pise… » (Lettre de Michel-Ange à Urbano, 2 avril 1518) — « Les barques que j’avais louées à Pise ne sont jamais venues. Je crois qu’on m’a joué : c’est mon lot en toutes choses ! Ô mille fois maudits le jour et l’heure où j’ai quitté Carrare ! C’est la cause de ma ruine… » (Lettre du 18 avril 1518)
  2. Lettre du 18 avril 1518. — Et, quelques mois plus tard : « La carrière est très escarpée, et les gens sont tout à fait ignorants : patience ! il faut dompter les montagnes et instruire les hommes… » (Lettre de septembre 1518, à Berto da Filicaja)
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