Je n’ai pas l’intention de faire, à l’occasion du Livre de raison de Rigaud, une étude d’ensemble sur la vie et les œuvres de ce peintre célèbre ; plus d’un critique d’art s’étant déjà occupé de celui qu’on a nommé, non sans raison, le Van-Dyck français, ce serait s’attarder à des redites. Mon ambition est autre ; je veux montrer seulement quel parti on peut tirer du document que je publie pour procéder au classement chronologique des portraits peints par Rigaud et pour juger de leur authenticité. Je veux surtout faire toucher du doigt son procédé de travail, et démontrer que la plupart de ses œuvres, même les plus célèbres, sont dues à une collaboration permanente entre le maître, ses élèves et un certain nombre de spécialistes, peintres de batailles, de paysage, de fleurs et d’ornement.
Les peintres qui ont joui d’une grande vogue n’ont, du reste, jamais procédé autrement ; un bon nombre de tableaux de maîtres sont dus à des collaborations très reconnaissables.
C’est au surplus un fait hors de doute que de la plupart des tableaux qui ont eu du succès, leurs auteurs, à quelque école qu’ils appartiennent, ont fait des répétitions qui valent parfois les originaux.
Seulement souvent on ne peut le démontrer avec certitude et on discute encore à perte de vue sur la part qui revient légitimement, dans certains tableaux, au peintre sous le nom duquel ils sont connus. En ce qui concerne Rigaud on pourra, à l’aide de son livre de raison, démêler le plus souvent ce qui est son œuvre propre et ce qui doit être, au contraire, restitué à ses collaborateurs dans ses tableaux même les plus célèbres.