Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/193

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J’ordonne que mes oz pour toute couverture
Reposent pres des siens sous mesme sepulture :
Que des larmes du ciel le tombeau fut lavé,
Et tout à l’environ de ces vers engravé :
Passant, de cest amant enten l’histoire vraye.
De deux traicts differents il receut double playe :
L’une que feit l’Amour, ne versa qu’amitié :
L’autre que feit la Mort, ne versa que pitié.
Ainsi mourut navré d’une double tristesse,
Et tout pour aimer trop une jeune maistresse.

SONETS


I

De ceste belle, douce, honneste chasteté
Naissoit un froid glaçon, ains une chaude flame,
Qu’encores aujourd’huy esteinte sous la lame
Me reschauffe, en pensant quelle fut sa clarté.
Le traict que je receu, n’eut le fer espointé :
Il fut des plus aiguz qu’Amour nous tire en l’ame,
Qui d’un trespas armé par le penser m’entame,
Et sans jamais tomber se tient à mon costé.
Narcisse fut heureux, mourant sur la fontaine,
Abusé du mirouër de sa figure vaine :
Au moins il regardoit je ne sçay quoy de beau.
L’erreur le contentoit, voyant la face aimée :
Et la beauté que j’aime, est terre consumée.
Il mourut pour une ombre, et moy pour un tombeau.