Par le penser m’encharnant un ulcere
Au fond du cœur : que plus je delibere
Guarir, ou rendre autrement adoucy,
Plus son aigreur se paist de mon soucy.
Quand de despit à-par-moy je souspire,
Cent fois le jour ma raison me vient dire,
Que d’un discours sagement balancé
Je remedie au coup qui m’a blessé.
Heureux celuy qui ses peines oublie !
Va-t -en trois ans courir par l’Italie :
Ainsi pourras de ton col deslier
Ce meschant mal qui te tient prisonnier.
Autres citez, autres villes et fleuves,
Autres desseins, autres volontez neuves.
Autre contrée, autre air et autres cieux
D’un seul regard t’esblouyront les yeux,
Et te feront sortir de la pensée
Plustost que vent, celle qui t’a blessée.
Car comme un clou par l’autre est repoussé,
L’amour par l’autre est soudain effacé.
Tu es semblable à ceux qui dans un Antre
Ont leur maison, où point le Soleil n’entre.
Eux regardans en si obscur sejour
Tant seulement un seul moment de jour,
Pensent qu’une heure est le Soleil, et croyent
Que tout le jour est ceste heure qu’ils voyent.
Incontinent que leur cœur genereux
Les fait sortir hors du séjour ombreux,
En contemplant du Soleil la lumiere,
Ils ont horreur de leur prison premiere.
Le bon Orphée en l’antique saison
Alla sur mer bien loin de sa maison
Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/330
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