Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/477

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Ou du festin d’un Roy sans renfrogner la face,
Si un autre apres luy se met dedans sa place.
J’ay couru mon flambeau sans me donner esmoy,
Le baillant à quelcun s’il recourt apres moy :
Il ne fault s’en fascher, c’est la Loy de nature,
Où s’engage en naissant chacune creature.
Mais avant que partir je me veux transformer
Et mon corps fantastiq’de plumes enfermer,
Un œil sous chaque plume, et veux avoir en bouche
Cent langues en parlant : puis d’où le jour se couche,
Et d’où l’Aurore naist Déesse aux belles mains,
Devenu Renommée, annoncer aux humains,
Que l’honneur de ce siecle aux Astres ne s’en-volle,
Pour avoir veu sous luy la navire Espaignolle
Descouvrir l’Amerique, et fait voir en ce temps
Des hommes dont les cœurs à la peine constans,
Ont veu l’autre Neptune inconneu de nos voiles,
Et son pole marqué de quatre grands estoiles :
Ont veu diverses gens, et par mille dangers
Sont retournez chargez de lingots estrangers.
Mais de t’avoir veu naistre, ame noble et divine,
Qui d’un cœur genereux loges en ta poitrine
Les errantes vertus, que tu veux soulager
En cet âge où chacun refuse à les loger :
En ceste saison dis-je en vices monstrueuse,
Où la mer des malheurs d’une onde impetueuse
Sur nous s’est débordée, où vivans avons veu
Le mal que nos ayeux n’eussent pensé ny creu.
En ce temps la Comete en l’air est ordinaire,
En ce temps on a veu le double luminaire
Du ciel en un mesme an s’eclipser par deux fois :
Nous avons veu mourir en jeunesse nos Rois,