Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/484

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II

Meschantes nuicts d’hyver, nuicts filles de Cocyte
Que la terre engendra, d’Encelade les seurs,
Serpentes d’Alecton, et fureur des fureurs,
N’approchez de mon lict, ou bien tournez plus vite.
Que fait tant le Soleil au gyron d’Amphytrite ?
Leve toy, je languis accablé de douleurs :
Mais ne pouvoir dormir c’est bien de mes malheurs
Le plus grand, qui ma vie et chagrine et despite.
Seize heures pour le moins je meur les yeux ouvers,
Me tournant, me virant de droit et de travers,
Sus l’un sus l’autre flanc je tempeste, je crie.
Inquiet je ne puis en un lieu me tenir,
J’appelle en vain le jour, et la mort je supplie,
Mais elle fait la sourde, et ne veut pas venir.


III

Donne moy tes presens en ces jours que la Brume
Fait les plus courts de l’an ou de ton rameau teint
Dans le ruisseau d’Oubly dessus mon front espeint,
Endor mes pauvres yeux, mes goutes et mon rhume.
Misericorde ô Dieu, ô Dieu ne me consume
A faute de dormir : plustost sois- je contreint
De me voir par la peste ou par la fiévre esteint,
Qui mon sang deseché dans mes veines allume.
Heureux, cent fois heureux animaux qui dormez
Demy an en vos trous, soubs la terre enfermez,
Sans manger du pavot qui tous les sens assomme :
J’en ay mangé, j’ay beu de son just oublieux
En salade, cuit, cru, et toutefois le somme
Ne vient par sa froideur s’asseoir dessus mes yeux.