Les gaillards champions qui d’une chaude presse
Se veulent en l’arène amoureuse enfermer :
Quand tu fis reverdir mon écorce ridée
De ta charmante voix, ainsi que fit Médée
Par herbes et par jus le père de Jason[1],
Je n’ai contre ton charme opposé ma défense :
Toutefois je me deuls[2] de rentrer en enfance,
Pour perdre tant de fois l’esprit et la raison.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, devisant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant,
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.
Lors vous n’aurez servante oyant[4] telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux[5] je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain ;
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
- ↑ Voy. Ovide, Metam., VII.
- ↑ Je me deuls : je m’afflige ; du latin dolere.
- ↑ Ce sonnet, rempli d’une douce mélancolie, n’a point été surpassé par l’imitation qu’en a faite Béranger. — La Bonne Vieille contient une pensée religieuse plus élevée, mais l’inspiration appartient à Ronsard.
- ↑ Oyant : entendant : de ouïr, audire.
- ↑ Dans les champs Élysées, planté, selon les poëtes anciens, de lauriers et de myrtes.