Page:Ronsard - Choix de poésies, édition 1862, tome 1.djvu/346

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Tu n’oublieras à faire armer les capitaines comme il faut, de toutes les pièces de leur harnois, soit que tu les appelles par leur nom propre ou par périphrases : car cela apporte grand ornement à la poésie héroïque.

Tu n’oublieras aussi la piste et battement de pied des chevaux, et représenter en tes vers la lueur et la splendeur des armes frappées de la clarté du soleil, et à faire voler les tourbillons de poudre sous le pied des soldats et des chevaux courant à la guerre, le cri des soldats, froissis de piques, brisement de lances, accrochement de haches, et le son diabolique de canons et arquebuses, qui font trembler la terre, froisser l’air d’alentour. Si tu veux faire mourir sur-le-champ quelque capitaine ou soldat, il le faut navrer au plus mortel lieu du corps, comme le cerveau, le cœur, la gorge, les aines, le diaphragme : et les autres que tu veux seulement blesser, ès parties qui sont les moins mortelles : et en cela tu dois être bon anatomiste. Si quelque excellent homme meurt, tu n’oublieras son épitaphe en une demi-ligne, ou une au plus, engravant dans tes vers les principaux outils de son métier, comme de Misène, qui avait été trompette d’Hector, puis avait tiré la rame de bonne volonté sous Énée[1] : car c’était anciennement l’exercice de grands héros et capitaines, et même de ces quarante chevaliers qui allèrent avec Jason en Colchos. Tu seras industrieux à émouvoir les passions et affections de l’âme, car c’est la meilleure partie de ton métier, par des carmes[2] qui t’émouvront le premier soit à rire ou à pleurer, afin que les lecteurs en fassent autant après toi.

  1. Virgile, Énéide, VI, 161 et suivants.
  2. Carmes : vers; du latin carmen