Page:Ronsard - Choix de poésies, édition 1862, tome 1.djvu/347

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Tu n’oublieras jamais de rendre le devoir qu’on doit à la divinité, oraisons, prières et sacrifices, commençant et finissant toutes tes actions par Dieu, auquel les hommes attribuent autant de noms qu’il a de puissances et de vertus, imitateur d’Homère et de Virgile, qui n’y ont jamais failli.

Tu noteras encore, lecteur, ce point qui te mènera tout droit au vrai chemin des Muses : c’est que le poëte ne doit jamais prendre l’argument de son œuvre, que trois ou quatre cents ans ne soient passés pour le moins, afin que personne ne vive plus de son temps qui le puisse de ses fictions et vraisemblances convaincre, invoquant les Muses, qui se souviennent du passé et prophétisent l’avenir, pour l’inspirer et conduire plus par fureur divine que par inventiou humaine. Tu imiteras les effets de la nature en toutes tes descriptions, suivant Homère. Car, s’il fait bouillir de l’eau en un chaudron, tu le verras premier[1] fendre son bois, puis l’allumer et le souffler, puis la flamme environner la panse du chaudron tout à l’entour, et l’écume de l’eau se blanchir et s’enfler à gros bouillons avec un grand bruit : et ainsi de toutes les autres choses. Car en telle peinture, ou plutôt imitation de la nature, consiste toute l’âme de la poésie héroïque, laquelle n’est qu’un enthousiasme et fureur d’un jeune cerveau. Celui qui devient vieux, maté d’un sang refroidi, peut bien dire adieu aux Grâces et aux Muses.

Donc, lecteur, celui qui pourra faire un tel ouvrage, et qui aura une bouche sonnant plus hautement que les autres, et toutefois sans se perdre dans les nues, qui aura l’esprit plus plein de prudence et d’avis, et les conceptions plus divines, et les paroles plus rehaussées et recherchées,

  1. Premier : premièrement