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DES AMOURS.

III.


Je veux pousser par la France ma peine,
Plus-tôt[1] qu’un trait ne vole au décocher :
Je veux de miel[2] mes oreilles boucher,
Pour n’ouïr plus la voix de ma sereine.[3]

Je veux muer mes deux yeux en fontaine,
Mon cœur en feu, ma tête en un rocher,
Mes pieds en tronc, pour jamais n’approcher
De sa beauté si fièrement humaine.

Je veux changer mes pensers en oiseaux,
Mes doux soupirs en Zéphyres nouveaux,
Qui par le monde éventeront ma plainte.

Je veux du teint de ma pâle couleur,
Aux bords du Loir enfanter une fleur[4],
Qui de mon nom et de mon mal soit peinte.


  1. Plus-tôt : plus rapidement.
  2. Miel : cire.
  3. Sereine : Sirène, allusion à la voix enchanteresse des Sirènes, dont Ulysse n’évita les séductions qu’en bouchant de cire les oreilles de ses compagnons, et se faisant lier lui-même au mât de son navire.
  4. Enfanter une fleur : du sang d’Ajax sortit une fleur, l’hyacinthe, dont les feuilles portaient écrites ces lettres : AI, qui sont les premières de son nom, et en même temps représentent un cri de douleur. (Ovide, Métam., XIII, 394 ; Virg., Egl., 3, v. 106 ; Pline l’Ancien, XXI, 11.)


IV.


Une beauté de quinze ans enfantine,
Un or[1] frisé de maint crespe anelet[2],
Un front de rose, un teint damoiselet,

  1. Un or : une chevelure dorée.
  2. Crespe anelet : anneau, boucle crêpée. Expression fréquente dans les poésies de Ronsard.