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Page:Ronsard - Choix de poésies, édition 1862, tome 1.djvu/440

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Toujours au cœur Francus lui revenait,
Et le maintien qu’en parlant il tenait,
Quel geste il eut, quel port et quelle face.
Et quelle fut sa douceur et sa grâce,
Quelle sa robe, et quel fut son parler,
Ses doux regards, sa taille et son aller,
Son menton crêpe[1], et sa perruque blonde,
Elle pensait qu’il n’y eut prince au monde
Pareil à lui ; toujours sa douce voix,
Ses doux propos et ses devis courtois,
Comme pâmée et pleine de merveille,
Coup dessus coup, lui refrappaient l’oreille.

Aucunefois elle songeait errer
Par les déserts, et seule s’égarer
Entre rochers, rivières et bocages.
Sans compagnie, entre bêtes sauvages,
Et que Francus, amoureux étranger,
Le fer au poing la sauvait du danger.
Sautant du lit, elle s’est réveillée,
Nu-pieds, sans robe, affreuse, échevelée :
Puis, s’accoudant à la règle[2] d’un banc,
Mille soupirs repoussa de son flanc.

« Pauvrette moi ! comme toute émoyée[3]
M’ont cette nuit les songes effrayée !
L’âme m’en tremble, et le cœur m’en débat :
Crainte et amour me font un grand combat.
Ainsi je suis tout autre devenue
Que je n’étais : je crains que la venue
De ce Troyen ne m’apporte malheur
Autant qu’il fait en songes de douleur !
Toujours j’y pense ! heureuse et plus qu’heureuse

  1. Crêpe : garnie de barbe crêpée, frisée
  2. La règle : l'arête droite.
  3. Émoyée : mise en émoi.