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Page:Ronsard - Le Bocage, 1554.djvu/62

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Ni cerf venant des bois n’auoient ſon eau troublée.

Ia le ſoleil auoit ſa chaleur redoublée,
Quand Narßiſſe aus beaus yeus pantoiſement laßé
Du chaut, & d’auoir trop és montaignes chaßé,
Vint là pour étancher la ſoif qui le tourmente :
Mais las ! en l’étanchant une autre lui augmente,
Car en boyuant a dent, ſon ſemblant aperceut
A fleur d’eau renuerſé, qui fraudé, le deceut.

Helas qui feroit il ! puis que la deſtinée
Lui auoit des le bers ceſte mort terminée ?
En vain ſon ombre il ayme, et pauure d’eſprit croit
Que ce ſoit un vray corps de ſon ombre qu’il voit,
Et de luy s’emerueille, & ſur le bord fiché
Bée en vain dessus l’eau, par les yeus attaché.

Il regarde esbahi, ſon poil qui s’ecarmouche
Tout crespu ſur ſon dôs, & l’honneur de ſa bouche,
Et ſes yeus treſluiſans plus clair que le soleil,
Et les boutons roſins de ſon beau taint vermeil,
Il admire ſon bras & ſa main merueillable,
Et tout ce dont il eſt lui meſmes admirable.

Il ſe priſe, il s’estime, & de luymeſme aimé
Allume en l’eau le feu dont il eſt conſumé :
Il ne ſçait ce qu’il voit, & de ce qu’il ignore
Le deſir trop goulu viuement le deuore,
Et le pareil erreur qui l’incite a ſe voir
Lui nourriſt l’esperance, & le fait deceuoir.
Quantesfois pour neant de ſa leure aprochée
Voulut toucher son ombre, & ne la point touchée ,
Quantesfois pour neant de ſoimeſmes espris,
En l’eau s’est voulu prendre, & ne s’est iamais pris.
Leue credule enfant tes yeus, & ne regarde,