Page:Ronsard - Les Amours, 1553.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Roi d’Arges, la femme du roi nommée Antie s’enamoura de lui, si fort que laissant la honte en tels cas requise, elle lui offrit la jouissance de son cors. Mais estant refusée par lui, & craignant, qu’il ne la diffamast, va la première se complaindre a son mari, disant que Bellerophon l'avoit voulue forcer. Prœtus fort courroucé ne le voulut toutesfois tuer, mesme permettre qu’il fut tué dans sa maison: ains ecrivit des letres a son beau pere le Roi de Lycie, lui exposant le fait, & le priant d’en prendre vengeance. Bellerophon mesme les porta: lequel fut receu par le Roi de Lycie trescourtoisement, & bien fetoié par l’espace de douze jours. Iceus acomplis, Iobate (ainsi se nommoit le beau pere de Prœtus) s'enquist a lui du portement de son gendre, & de sa fille , & s'il lui en aportoit point de letres. Si fai, dit il, & ce disant, les lui presenta Les lettres leues, Iobate rongeant son frein, va penser a par soi, qu’il faloit brasser a Bellerophon quelque trahison pour le faire mourir. Et ne voiant moien plus propice, toujours dissimulant son cœur, lui tint propos de l’avanture de la Chimere, lui remontrant, que vraiment grand los acquerroit celui, qui pourroit une telle beste desconfire. Or étoit la Chimere en ce pais la, un monstre aiant le devant d’un Lion, le derriere d’un dragon, & le millieu du cors en façon d’une chevre: & gettoit ordinairement le feu ardant par la gueulle. Bellerophon fut de si gentil cœur, qu’il l’entreprint, & pour faire court, en vint a bout a son grand honneur: avec l’aide du cheval volant Pegase, que son pere Neptune lui avoit donné. Il fit encor' beaucoup d’autres vaillantises, desquelles Iobate s'esmerveillant, non seullement ne voulut pas le meurdrir, ains luy donna une sienne fille nommée Cassandre en mariage, avecques bonne partie de son roiaume. Ainsi l'ai-je recueilli d’Homere au sisiéme de l’Iliade, d’Hesiode en la Theogonie, & de leurs commentaires.