Page:Rosenthal - La Peinture romantique, 1900.djvu/18

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Dans sa haine du dix-huitième siècle, David avait oublié d’en proscrire l’esprit théâtral. Aux scènes d’opéra il avait substitué des scènes de tragédie. Comme on abrégeait l’étude de la nature en copiant l’antique, on abrégea celle du geste en s’inspirant des acteurs. Les Davidiens crurent nécessaire de souligner par des gestes expressifs toutes les intentions de leurs personnages. Les bras s’élancèrent au ciel, les mains se crispèrent, s’étendirent, s’ouvrirent ou se fermèrent ; la tête se pencha, oscilla en avant ou en arrière ; les sourcils se froncèrent ; une pantomime, fausse, affectée et brutale, transforma les dieux et les héros en possédés (1). Ce défaut, dont David avait donné l’exemple dans la composition emphatique de scs Horaces, devient irritant et ridicule chèz ses imitateurs. Les moins habiles arrivent à de véritables caricatures ; les plus adroits ne savent pas se défendre de l’exagération.

L’artiste a définitivement fixé son projet et il en aborde l’exécution : c’est alors, surtout, que les erreurs de David pèsent sur lui et qu’il porte la peine de n’avoir pas su distinguer, dans l’admiration aveugle de l’antique, les limites de la peinture et de la statuaire.

Le Davidien accorde au dessin une importance prépondérante, il est fier de bien dessiner et, par un sophisme auquel se complaisent volontiers les dessinateurs, il n’imagine pas qu’on puisse comprendre l’art de traduire la forme par la ligne et l’ombre autrement qu’il ne le fait lui-même. On le surprendrait si on lui expliquait que le dessin comporte, comme la couleur, plusieurs systèmes et l’on serait mal venu à lui dire (pic, parmi ces méthodes, la sienne est une des plus artificielles et des plus contestables.

Quoi de plus singulier, en effet, que cette obligation de consulter, sans cesse, le modèle, mais en le contrôlant par les données de la sculpture antique ! Dans cette confrontation perpétuelle, la sincérité disparaît, sans que l’intelligence de I antique y gagne. L’œil s’habitue à fausser les formes que la nature lui propose d après un idéal qui les contrarie à chaque instant, et, malgré ses constants scrupules, l’artiste trahit, sans cesse, la vérité dont il se recommande. Mais, d’autre part, il n’a pris de l’antique que des recettes (2). La contemplation, l imitation des plâtres, dont il ne raisonne pas le système, restent inefficaces ; il n’a gagné que des manies de praticien. De là, un dessin sans saveur et monotone ; sous prétexte de noblesse et de pureté, des prédilections outrées et des exclusions ridicules. Les mille particularités de chaque modèle disparaissent, le crayon les efface parce qu’elles nuisent à la régularité ; sous prétexte de science (1) Contre cet abus : Paillot ite Montaberl, Théorie du geste, t8t8, p. 78, 77, etc. — Quatremère de Quincy, De la nature de l’Imitation t, ix, p. 70.

(2) M. Guillaume analyse (Essais sur l’art, p. 460) « cette disposition à considérer les œuvres de la statuaire comme répondant à une vas ;ue beauté, comme un répertoire de formes que l’on pouvait indifféremment modifier et adapter ù des sujets divers. »