Page:Rosenthal - La Peinture romantique, 1900.djvu/19

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anatomique, il tend et roidit les muscles sous la peau et donne aux membres l’aspect de billes de bois bien arrondies, parce que les marbres romains qu’il croit suivre ont parfois cet aspect. 11 emprunte au goût chancelant de Rhodes el deTralles la prédilection pour les formes gigantesques et, dans la plupart des compositions les figures dépassent la taille humaine, système dangereux, où il est difficile d’éviter toujours le monstrueux que l’on côtoie sans précaution, système qui, à mesure que l’Ecole vieillit, semble dé plus en plus en honneur(l). Enfin, puisqu’il faut que chaque génération artistique choisisse dans la vie une période de prédilection, que certains artistes, comme les quattrocentisles ont préféré la jeunesse et la grâce, tandis (pie d’autres, comme Michel-Ange, n’ont représenté cjue la maturité et la force, puisque la variété des aspects que revêt l’homme est trop considérable pour être embrassée par une seule école, le Davidien, comme tous les maîtres académiques, comme leGuidc ou lesCarrache et, surtout, comme les auteurs du Torse et de Y Apollon, affectionne les formes pleines et massives de l’âge mûr. Il le fait, au point de donner à tous ses personnages l’air bien nourri, de dessiner des jeunes gens sans jeunesse, des bambins bouffis, et des jeunes filles sans délicatesse.

Arrivé à ce point de son ouvrage, l’artiste n’a encore qu’ébauché la toile et, pourtant, l’essentiel de son travail est fait (2). Les mérites de l’exécution picturale sont secondaires ; bien plus, il risque d’y compromettre les qualités qu’il a d’abord déployées. Tout effrayé encore du dévergondagedu dix-huitième siècle, dont le souvenir ne s’est pas effacé (3), l’artiste évite les effets de brosse ; son plus grand souci est de dissiper la facture, d’effacer les traces du travail, de cacher les efforts qu’a coûtés l’enfantement. L’œuvre doit faire oublier l’auteur ; elle doit être impersonnelle.

La peinture reste donc la servante du dessin. D’après la doctrine pure du davidisme, celle qui fut d’abord uniquement enseignée, fa couleur ne sert qu’à souligner le modelé. Il faut répudier les effets de lumière qui rejettent dans l’ombre une partie de la toile, enveloppent les formes d’une lueur douteuse et détournent l’esprit de la contemplation des lignes. Le clair obscur, où disparaissent les erreurs d’un dessinateur imparfait, voile les mérites d’un dessinateur (1) « On :i reconnu depuis longtemps qu’il n’appartient qu’aux plus grands maîtres de peindre dans des proportions colossales la figure humaine. Le corps humain et surtout le visage, est réduit, d’après les lois de. la nature, à une certaine dimension qu’il ne doit pas excéder pour paraître régulier, caractéristique, beau, spirituel. Essayons de nous regarder dans un miroir concave et nous serons effrayés de l’objet uniforme, inanimé, inculte qui s’offre à nous comme une tète de méduse. » 1817-1818, Gœthe, Mélanges , trad. Porchal, p. 417.

(2) « Tu fais passer le dessin après la couleur. Eh bien, mon cher, c’est mettre la charrue devant les bœufs. » Propos de David il un élève, rappelé dans Dclécluze, David , p. 00. (il) ’Paillasson, op. vit ., p. 228 et 233 ; — voir aussi Paillot de Montaberl, Traité de ta peinture, t. VIII, p. 137 ; — Stamati Hulgari, Sur le but moral de la peinture, 1827, p. 13.