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PIERRE DE SAVOIE ET RODOLPHE DE HABSBOURG

cette ville par le comte Pierre. Les lois qu’il donna à son peuple tendent à protéger les petits, les pauvres, les veuves, les orphelins. Elles instituent des avocats gratuits chargés de défendre les indigents ; elles simplifient les procès et ne font aucune mention de la torture.

On s’explique donc la popularité dont jouit Pierre de Savoie et la place qu’il occupe dans l’histoire. Fatigué, usé par une activité incessante, le vaillant prince, qui avait dû en 1268 faire un voyage en Italie, mourut dans le trajet de retour. Il avait passé les derniers temps de sa vie dans sa chère forteresse de Chillon, où il était venu chercher le repos. C’est là que dans une charmante poésie, Juste Olivier nous le montre écoutant les chansons de son troubadour[1] préféré :

Le vaillant comte Pierre
Avait un troubadour,
Et quand la batelière
Passe au pied de sa tour,
Peut-être elle répète
De l’antique poète
Un antique rondeau,
Sur l’eau,
Sur le bord de l’eau,
Un antique rondeau,
Sur l’eau.


11me LECTURE

Rodolphe de Habsbourg. — La famille de Habsbourg, à laquelle était réservée une si brillante destinée, resta longtemps assez obscure. Elle habitait un modeste château de l’Argovie, transformé aujourd’hui en une simple ferme. Grâce à des héritages, elle s’enrichit et accrut ses possessions, non seulement dans la région avoisinant sa demeure, mais jusque dans les contrées qui forment actuellement les cantons de Lucerne, de Schwytz et d’Unterwald.

Le comte Rodolphe, qui devait si grandement illustrer le nom de Habsbourg, naquit en 1218. On a peu de détails sur sa jeunesse. Il combattit en Italie où il se montra très courageux. Son ambition était grande et, pour la satisfaire, il usa de ruse et même de perfidie à l’égard de divers membres de sa famille. On le représente cependant comme un homme aimable, qui possédait le don de plaire et qui sut rester simple de manières, même au milieu des honneurs. Il avait six pieds et demi de haut, dit un de ses biographes, l’aspect vigoureux, le front large, le teint pâle, les cheveux blonds, les yeux bleus et animés. Sa figure, ordinairement Rodolphe de Habsbourg, empereur.
Fig. 42. — Rodolphe de Habsbourg, empereur.
(D’après une fresque de la Salle impériale, à Francfort-sur-le-Main.)
pensive et sérieuse, s’adoucissait dès qu’il parlait. Gai de caractère, il aimait à plaisanter et gardait sa bonne humeur même dans les circonstances difficiles. On cite de lui ce trait qu’un jour, étant dans une brasserie et trouvant la bière de son goût, il s’avança sur le seuil et invita les passants à venir se rafraîchir à ses frais. C’est ainsi qu’il savait se rendre populaire

La période qui s’écoula de 1250 à 1273 fut très malheureuse pour l’empire d’Allemagne. On l’a appelée le grand interrègne, parce qu’il n’y eut pas alors, en réalité, de gouvernement impérial et que, même, le trône resta complètement inoccupé pendant plusieurs années. Les seigneurs n’eurent plus de maître ; chacun d’eux chercha à étendre ses domaines par tous les moyens et le plus souvent par la force. Plus de loi, plus de sécurité pour le faible. Les campagnes furent dévastées par les guerres. Des troupes de chevaliers pillards pratiquaient en grand le brigandage.

Les États de Rodolphe s’accrurent alors beaucoup, particulièrement dans l’Argovie, la Thurgovie, les pays de Zurich, de Lucerne et de Zoug. Pour les augmenter encore, ce prince déclara même la guerre à Pierre de Savoie ; de ce côté toutefois, il éprouva un échec. Il fut plus aimable avec la ville de Zurich, qu’il aida puissamment dans sa lutte contre les seigneurs du voisinage. Mais il fit la guerre à l’évêque de Bâle au sujet de la posses-

  1. Les troubadours étaient des poètes du midi de la France qui allaient de château en château réciter ou chanter leurs vers en s’accompagnant de la guitare.