Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/32

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— C’est la caverne de l’ours gris… déclara-t-il. Elle est vide depuis plus d’une lune.

Nam et Gaw ne connaissaient guère cette bête formidable, les Oulhamr rôdant aux régions que hantaient le Tigre, le Lion, l’Aurochs, le Mammouth même, mais où l’Ours gris était rare. Naoh l’avait rencontré au cours d’expéditions lointaines ; il savait sa férocité, aveugle comme celle du Rhinocéros, sa force presque égale à celle du Lion Géant, son courage furieux et inextinguible. La caverne était abandonnée, soit que l’Ours y eût renoncé, soit qu’il se fût déplacé pour quelques semaines ou pour une saison, soit encore qu’il lui fût arrivé malheur à la traversée du fleuve. Persuadé que la bête ne reviendrait pas cette nuit, Naoh résolut d’occuper sa demeure. Tandis qu’il le déclarait à ses compagnons, une rumeur immense vibra le long des rocs et de la rivière : les Aurochs étaient venus ! Leurs voix puissantes comme le rugissement des lions se heurtaient à tous les échos de l’étrange territoire.

Naoh n’écoutait pas sans trouble le bruit de ces bêtes colossales. Car l’homme chassait peu l’urus et l’aurochs. Les taureaux atteignaient une taille, une force, une agilité que leurs descendants ne devaient plus connaître ; leurs poumons s’emplissaient d’un oxygène plus riche ; leurs facultés étaient, sinon plus subtiles, du moins plus vives et plus lucides ; ils connaissaient leur rang, ils ne craignaient les grands fauves que pour les faibles, les traînards ou ceux qui se hasardaient, solitaires, dans la savane.

Les trois Oulhamr sortirent de la caverne. Leurs poitrines tressaillaient au grand spectacle ; leurs cœurs en connaissaient la splendeur sauvage ; leur mentalité obscure y saisissait, sans verbe, sans pensée, l’énergique beauté qui tressaillait au fond de leur propre être ; ils pressentaient le trouble tragique d’où sortira, après les siècles des siècles, la poésie des grands barbares.