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La silencieuse



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Château de La Serraz, 14 mai 1857.

Quinze jours déjà que les autorités fédérales nous internent dans ce vieux coin perdu. Tout un petit monde de républicains et de révoltés : Français, Autrichiens, Vénitiens, Polonais, Russes, casernés avec nous dans les antiques salles où florissaient les Seigneurs de la Serraz et leurs respectables soudards. On ne saurait rêver tyrannie plus charmante. Les deux gardiens, les trois vagues gendarmes sont aux petits soins pour leurs « captifs ». Ces braves gens sont tout fiers de nous avoir, et la population avoisinante nous tire de grands coups de chapeau quand nous sortons. Car nous sortons. Notre parole suffit à nous garantir toutes les licences. L’autre jour, j’ai même été en retard pour le souper. J’ai trouvé le vieux gardien Mermoz tout mélancolique.

— Votre fricot va être froid, Monsieur Durville… et ma femme s’était surpassée.

J’ai compati à sa peine. Je me suis promis de ne plus rentrer après sept heures.

Le pays est un ravissement. Un lac frais, clair, impressionnable aux changements du ciel comme une créature vivante ; des pâturages où sonne tout le jour la rêveuse clochette de bronze ; et cent montagnes à l’horizon, vertes, violettes, neigeuses, où chaque aurore et chaque crépuscule jouent un vaste, subtil et divin opéra de lumière. D’ailleurs, un temps fait à souhait pour rendre la vie aimable et les