Page:Rosny aîné - La Jeune vampire, 1920.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
LA JEUNE VAMPIRE

lyn l’émurent, car il avait le cœur tendre et elle apparaissait charmante dans le désordre lumineux de sa chevelure :

— C’est de l’aberration ! fit-il… Vous ne mourriez pas du tout.

— Je mourrais, répéta-t-elle d’une voix profonde.

Il la sentit parfaitement sincère et redevint rêveur. Sa conviction demeurait entière : Evelyn était bien une vampire, mais d’une manière assez différente de celle relatée par les traditions. James, qui avait de la philosophie, savait que les traditions renferment une fraction de symbole et de légende. Dans l’espèce, il ne fallait pas croire aux vampires sortant de leur tombe ; c’était la part du génie macabre et de la puérilité populaire. On pouvait croire, au contraire, à quelque étrangeté organique, suivie de mort apparente — ce qui s’appliquait rigoureusement à Evelyn. Non seulement elle avait passé pour morte, mais sa métamorphose se décelait par une pâleur excessive et par la tournure de son esprit.

— La preuve que vous ne mourriez pas, reprit-il, c’est que vous avez passé très innocemment la plus grande partie de votre existence.

— De mon existence ! murmura-t-elle d’un ton farouche. Est-ce que c’était vraiment mon existence ?

Cette question ne surprit qu’à moitié Bluewinkle ; il savait que la mémoire de sa jeune femme comportait des singularités. Toutefois, son attention fut plus vivement excitée qu’à l’ordinaire : jamais Evelyn n’avait été aussi précise.

— Que voulez-vous dire ? reprit-il. Supposez-vous que l’Evelyn Grovedale de jadis et celle d’aujourd’hui ne sont pas la même personne ?

Elle ne répondit pas tout de suite. Ses lèvres tremblaient. Elle élevait vers James un regard plein de supplication et de méfiance. Enfin, comme emportée par une impulsion irrésistible :

— Ce sont deux personnes différentes ! chuchota-t-elle…

Le ton impressionna le jeune homme jusqu’à l’épouvante.