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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/172

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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

par le clair de lune. D’abord, il se soulagea, puis il eut une hallucination. Il tendait le poing vers la porte de la cuisine, où il croyait voir sa femme, il grondait :

— Effacez son nom, que je dis. Je veux pas qu’elle ait rien. Tout doit revenir au petit. Et puis, je le veux pour moi, le petit… je veux pas qu’elle le garde… ou j’y casserai la gueule… Ah ! pourquoi que je l’ai mariée… j’étais si heureux, et maintenant j’suis si malheureux !

Elle l’écoutait, saisie. Pendant des années et des années, elle avait pris patience, elle avait supporté ses ribotes sans lui faire un seul reproche. Aujourd’hui encore, elle se bornait à gémir, les jours de paye, moins pour elle-même qu’à cause du petit. Et voilà qu’il la haïssait !

— Ma femme te plaît ! continuait Bernard ; ben, mon vieux, t’aurais tort de te gêner, c’est pas moi qui t’empêcherai de… Ah ! la garce, elle monte mon petit contre moi. Hein ! je lui donne à manger, à ce gosse, et t’oses te permettre de le monter contre son père… Ton père, Riquet, c’est sacré… Moi, le mien, j’y ai jamais manqué… et pourtant c’était pas lui mon père… c’est l’autre, avec qui la mère a foutu le camp. Ça va finir, peut-être ? Je marche avec les autres, par solidarité pour tous… et j’suis pas à vendre… Vous entendez bien, pas un sou pour elle !

Il marcha vers la vitre, il considéra un moment le disque de nacre qui sillait parmi les étoiles.