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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/171

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DANS LE NÉANT

famille. Il y avait eu des soirs où il était câlin, et alors elle s’oubliait dans cette espérance sans bornes qu’est l’amour. Maintenant, elle savait qu’il ne pouvait pas plus cesser d’aller chez le mannezingue que la Seine de couler sous les ponts. C’était comme ça, parce que c’était comme ça et cette raison, quand on l’a une fois bien comprise, est si forte qu’on ne cherche plus même à la combattre.

Et voilà ! Elle avait un petit garçon aux yeux déjà chauves, aux joues pâles comme de la craie ; quelque chose d’autre vivait en elle, qui viendrait à son terme, qui réclamerait du lait, des vêtements et de la sollicitude… Elle ne voyait aucune issue. Elle était mieux murée dans son sort qu’un prisonnier dans sa cellule. Si bien que, à la fin, elle coucha son visage sur la table et se mit à pleurer, jusqu’à ce que ses yeux lui refusassent les larmes.

Bernard rentra tard, avec sa bonne mesure, et ballottant dans le couloir. Des paroles bourbeuses clapotaient au fond de sa gorge. Gilberte, renfoncée dans la ruelle, savait qu’il fallait se taire. Et ils dormirent côte à côte, jusqu’au milieu de la nuit.

Alors, il se leva, il chercha le vase dans la table de nuit, et on pouvait voir sa structure blanchie