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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/226

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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

Ce disant, il tira de sa poche un vieux jeu, ignoble et gras.

— J’ai aussi des haricots ! déclara-t-il. Ils vaudront chacun vingt sous. Ça va-t-il ?

Il exhiba un petit sac de cuir tout rongé et en sortit des haricots rouges, ridés par l’âge :

— Ça va très bien, acquiesçai-je. Je n’ai pas sommeil et j’aime autant une partie de cartes qu’autre chose.

— Alors, ça sera une manille. Moi, je serai avec celui-ci, et vous avec cet autre, continua-t-il en désignant l’homme aux canines et le petit… Tant qu’au cintième, y se reposera.

Mes convives expédièrent leurs dernières bouchées ; la partie commença… Elle fut assez longue, malgré le truquage évident du jeu et ma bonne volonté. Et onze heures sonnaient au petit coucou de la cuisine lorsque, me trouvant en perte de quarante-cinq francs, je déclarai :

— Je commence à me sentir fatigué… Et si vous le voulez bien, nous nous en tiendrons là.

— Si ça vous est égal de finir en perte ! fit l’homme au visage d’assassin avec un rire rauque.

Pour toute réponse, je mis la main à mon gousset et je disposai deux louis, plus un écu de cinq francs, sur la table. Les gueules eurent chacune leur genre de sourire. L’homme à tête d’assassin empocha paisiblement l’argent, tendit l’oreille et dit :

— V’là la pluie qui a cessé… On peut se remettre en route.