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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/230

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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

l’avaient hâlée. Mais c’était une teinte fine, qui convenait aux longs yeux flammés, aux lèvres rouges comme la vigne-vierge en automne, à la chevelure paille d’épeautre ; elle avait l’allure des oréades ; le sang qui coulait en elle était aussi frais que la jeunesse du monde.

J’eus le sentiment que ces trois êtres emportaient avec eux tout ce que je cherchais éperdument et ne trouverais peut-être pas dans mon bref pèlerinage. Et j’enviai terriblement Marble lorsque, au détour de la conversation, je compris qu’il était fiancé à la belle fille. Puis, ayant mangé avec eux le pemmican, la tortille de maïs et bu l’eau du fleuve, je repartis à l’aventure. L’heure suivante, mon sort, à ce que je croyais, ne devait jamais rejoindre le leur.

Quoique je me dirigeasse assez proprement, je commis une ou deux erreurs de marche en voulant couper la boucle du fleuve, si bien que le deuxième jour, vers le crépuscule, je revis Marble et la fille aux longs yeux. Ils étaient debout, auprès de l’eau verte à l’ombre et orange au soleil ; l’homme avait l’air grave, la girl était pâle et tragique. Quand je fus proche, ils se tournèrent ; Marble me considéra en sa manière ennemie. Puis ils m’apprirent que le vieux était mort. Il avait voulu prendre un bain dans une crique ; un énorme alligator, fils de reptiles préhistoriques, l’avait saisi à la cuisse et l’on n’avait pu repêcher que la moitié du cadavre.