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L’ALLIGATOR

— Je massacrerai la damnée vermine ! s’écriait Marble.

Je vis bien qu’il parlait ainsi pour Harriet Kennedy, parce qu’il l’aimait et que l’amour porte à l’héroïsme.

Comme le soir allait venir, j’obtins de passer la nuit près de leur bûcher. Nous soupâmes ensemble d’une outarde, au clair du feu et de la lune. La vie s’élevait pleine et magnifique, avec l’odeur de l’eau, de l’air et des herbes. Tout était jeune, l’âme s’emplissait de rêves : cette jeune Harriet fut l’image de ce qui est bon et passionnant sur la terre.

Alors, je songeai avec mélancolie à mon existence incertaine et pauvre. Qui sait si je n’errerais pas jusqu’à ma vieillesse, misérable et sans amour, ou si la mort ne me guettait pas au tournant des collines !… Et cette fille brillante, que j’aurais pu toucher en avançant la main, elle était aussi lointaine que l’étoile qui se levait au ras de l’horizon…

Il arriva qu’Harriet, épuisée de chagrin, s’étendit sur un monceau d’herbe bleue et s’endormit. Marble considéra avec une ardeur jalouse la lueur du visage et des cheveux. Il secoua la tête avec une brusque confiance et murmura :

— Elle sera ma femme !